Décision n° 2017-663 QPC du 19 octobre 2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 410766 du 17 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Louison T. par Me Olivier Horrie, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-663 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs, ratifiée par l'article 25 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Nicolaÿ-de Lanouvelle-Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 7 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Christophe Nicolaÿ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige relatif à l'imposition de l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances à l'occasion de la cessation de ses fonctions le 30 juin 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013 mentionnée ci-dessus.
2. En vertu du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie qu'il représente, lors de la cessation de son mandat, bénéficie du régime d'exonération prévu par le paragraphe I du même article, sous réserve notamment du respect de la condition suivante, définie au c du 1 du paragraphe V : « L'activité est intégralement poursuivie dans les mêmes locaux par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et dans le délai d'un an ».
3. Selon les requérants, ces dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dans la mesure où l'exonération qu'elles instituent au bénéfice des agents généraux d'assurances qui cessent leur activité est subordonnée à la poursuite de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel. Cette condition, d'une part, ne constituerait pas un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi par le législateur et, d'autre part, créerait une différence de traitement injustifiée entre l'agent général dont l'activité est reprise par un nouvel agent exerçant à titre individuel et celui dont l'activité est reprise par plusieurs agents ou par un seul agent exerçant sous forme sociétaire.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'activité d'agent général d'assurances peut être exercée sous forme individuelle ou sous forme de société. Lors de la cessation de son activité, l'agent général d'assurances peut procéder à la cession de gré à gré de cette activité, sous réserve de l'agrément de la compagnie d'assurances qu'il représente. À défaut d'une telle cession, notamment lorsque la compagnie d'assurances a refusé cet agrément, cette dernière lui verse une indemnité compensatrice de cessation de mandat. Le paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts définit les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération de l'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité ainsi versée à l'agent général faisant valoir ses droits à la retraite, lorsqu'il exerçait son activité à titre individuel.
7. En prévoyant que l'indemnité compensatrice versée à l'occasion de la cessation d'activité d'un agent général d'assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d'un régime d'exonération, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l'activité exercée.
8. Toutefois, d'une part, il n'y a pas de lien entre la poursuite de l'activité d'agent général d'assurances et la forme juridique dans laquelle elle s'exerce. D'autre part, l'indemnité compensatrice n'est versée qu'en l'absence de cession de gré à gré par l'agent général, situation dans laquelle il n'est pas en mesure de choisir son successeur. Le bénéfice de l'exonération dépend ainsi d'une condition que le contribuable ne maîtrise pas. Dès lors, en conditionnant l'exonération d'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité compensatrice à la reprise de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques.
9. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 19 octobre 2017.
JORF n° 2048 du 22 octobre 2017
ECLI : FR : CC : 2017 : 2017.663.QPC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.2. Champ d'application du principe
- 5.4.2.2. Égalité en matière d'impositions de toutes natures
5.4.2.2.28. Imposition des plus-values professionnelles
En prévoyant que l'indemnité compensatrice versée à l'occasion de la cessation d'activité d'un agent général d'assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d'un régime d'exonération, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l'activité exercée. Toutefois, d'une part, il n'y a pas de lien entre la poursuite de l'activité d'agent général d'assurances et la forme juridique dans laquelle elle s'exerce. D'autre part, l'indemnité compensatrice n'est versée qu'en l'absence de cession de gré à gré par l'agent général, situation dans laquelle il n'est pas en mesure de choisir son successeur. Le bénéfice de l'exonération dépend ainsi d'une condition que le contribuable ne maîtrise pas. Dès lors, en conditionnant l'exonération d'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité compensatrice à la reprise de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques (censure).
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.3. Contrôle du principe - Conditions du contrôle
- 5.4.3.1. Étendue de la compétence législative
- 5.4.3.1.2. Détermination de l'objectif poursuivi
5.4.3.1.2.2. Objectif incitatif
En prévoyant que l'indemnité compensatrice versée à l'occasion de la cessation d'activité d'un agent général d'assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d'un régime d'exonération, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l'activité exercée. Toutefois, d'une part, il n'y a pas de lien entre la poursuite de l'activité d'agent général d'assurances et la forme juridique dans laquelle elle s'exerce. D'autre part, l'indemnité compensatrice n'est versée qu'en l'absence de cession de gré à gré par l'agent général, situation dans laquelle il n'est pas en mesure de choisir son successeur. Le bénéfice de l'exonération dépend ainsi d'une condition que le contribuable ne maîtrise pas. Dès lors, en conditionnant l'exonération d'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité compensatrice à la reprise de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques (censure).
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.4. Contrôle du principe - exercice du contrôle
5.4.4.1. Adéquation des dispositions législatives
En prévoyant que l'indemnité compensatrice versée à l'occasion de la cessation d'activité d'un agent général d'assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d'un régime d'exonération, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l'activité exercée. Toutefois, d'une part, il n'y a pas de lien entre la poursuite de l'activité d'agent général d'assurances et la forme juridique dans laquelle elle s'exerce. D'autre part, l'indemnité compensatrice n'est versée qu'en l'absence de cession de gré à gré par l'agent général, situation dans laquelle il n'est pas en mesure de choisir son successeur. Le bénéfice de l'exonération dépend ainsi d'une condition que le contribuable ne maîtrise pas. Dès lors, en conditionnant l'exonération d'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité compensatrice à la reprise de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques (censure).
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, le Conseil constitutionnel juge que la question porte uniquement sur les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant à ce c.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.2. Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige relatif à l'imposition de l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances à l'occasion de la cessation de ses fonctions le 30 juin 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013.
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige relatif à l'imposition de l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances à l'occasion de la cessation de ses fonctions le 30 juin 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.1. Abrogation à la date de la publication de la décision
Aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.