Droit au respect de la vie privée et recherche des auteurs d’infractions

Conseil Constitutionnel

Décision n° 2021-952 QPC / 3 décembre 2021 /

Décision n° 2022-993 QPC / 20 mai 2022 /

Décision n° 2022-1000 QPC / 17 juin 2022 /
Réquisition de données de connexion dans le cadre de la procédure pénale

Crise sanitaire

©Denis Charlet / AFP

Par trois décisions rendues en fin d’année 2021 et au premier semestre 2022 sur renvoi de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a précisé les bornes constitutionnelles de la réquisition des données de connexion à différentes phases de la procédure pénale

Les dispositions contestées autorisaient le procureur de la République et les officiers et agents de police judiciaire à se faire communiquer des données de connexion ou à y avoir accès.

La QPC n° 2021-952 avait trait à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions des articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale relatives à la réquisition de données de connexion dans le cadre de l’enquête préliminaire.

Il était reproché à ces dispositions par le requérant de permettre au procureur de la République d’autoriser, sans contrôle préalable d’une juridiction indépendante, la réquisition d’informations issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, qui comprennent les données de connexion. Il en serait résulté une méconnaissance, notamment, du droit au respect de la vie privée, ainsi que des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif.

Par sa décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a rappelé que, aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée.

En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il lui incombe d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infraction et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée.

À cette aune, le Conseil constitutionnel a relevé que, en permettant de requérir des informations issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, les dispositions contestées autorisaient le procureur de la République et les officiers et agents de police judiciaire à se faire communiquer des données de connexion ou à y avoir accès.

Il a jugé que, d’une part, les données de connexion comportent notamment les données relatives à l’identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu’aux services de communication au public en ligne qu’elles consultent. Compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l’objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée.

D’autre part, en application des dispositions contestées, la réquisition de ces données était autorisée dans le cadre d’une enquête préliminaire qui pouvait porter sur tout type d’infraction et qui n’était pas justifiée par l’urgence ni limitée dans le temps.

Le Conseil a en outre jugé que, si ces réquisitions étaient soumises à l’autorisation du procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, le législateur n’avait assorti le recours aux réquisitions de données de connexion d’aucune autre garantie.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que, dans ces conditions, le législateur n’avait pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. Il a en conséquence déclaré les dispositions contestées contraires à la Constitution et, relevant que l’abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives, a jugé qu’il y avait lieu de reporter au 31 décembre 2022 la date de l’abrogation de ces dispositions. Les mesures prises avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Puis, saisi de dispositions des articles 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale relatives à la réquisition de données de connexion dans le cadre de l’enquête de flagrance, le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur le reproche qui leur était adressé de permettre au procureur de la République ou à l’officier de police judiciaire, dans le cadre d’une telle enquête, de requérir la communication de données de connexion sans le contrôle préalable d’une juridiction indépendante, au mépris du droit au respect de la vie privée.

Pour le contrôle de ces dispositions, le Conseil constitutionnel a appliqué, par sa décision n° 2022-993 QPC du 20 mai 2022, la même grille d’analyse constitutionnelle que celle déployée par sa décision précitée du 3 décembre 2021.

À cette aune, il a jugé que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions.

Il a relevé que, d’une part, ces dispositions ne permettent les réquisitions de données que dans le cadre d’une enquête de police portant sur un crime flagrant ou un délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement. D’autre part, la durée de cette enquête est limitée à huit jours. Elle ne peut être prolongée, pour une nouvelle durée maximale de huit jours, sur décision du procureur de la République, que si l’enquête porte sur un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans et si les investigations ne peuvent être différées.

Enfin, ces réquisitions ne peuvent intervenir qu’à l’initiative du procureur de la République, d’un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, d’un agent de police judiciaire. Ces officiers et agents étant placés sous la direction du procureur de la République, les réquisitions sont mises en œuvre sous le contrôle d’un magistrat de l’ordre judiciaire auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits.

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée.

Enfin, le Conseil constitutionnel s’est prononcé par sa décision n° 2022-1000 du 17 juin 2022 sur des dispositions relatives à la réquisition de données de connexion dans une information judiciaire, telles qu’elles figuraient à l’article 99-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, et à l’article 99-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Il leur était notamment reproché de permettre au juge d’instruction, ou à un officier de police judiciaire commis par lui, de requérir la communication de données de connexion alors qu’une instruction peut porter sur tout type d’infraction et qu’elle n’est pas justifiée par l’urgence ni limitée dans le temps. Il en serait résulté une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.

Appliquant la même grille d’analyse constitutionnelle que celle mobilisée par ses deux précédentes décisions, le Conseil constitutionnel a jugé que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions.

En second lieu, la réquisition de données de connexion intervient à l’initiative du juge d’instruction, magistrat du siège dont l’indépendance est garantie par la Constitution, ou d’un officier de police judiciaire qui y a été autorisé par une commission rogatoire délivrée par ce magistrat.

D’une part, ces dispositions ne permettent la réquisition de données de connexion que dans le cadre d’une information judiciaire, dont l’ouverture n’est obligatoire qu’en matière criminelle et pour certains délits. Si une information peut également être ouverte pour les autres infractions, le juge d’instruction ne peut informer, en tout état de cause, qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République ou, en matière délictuelle et dans les conditions prévues aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile.

D’autre part, dans le cas où la réquisition de données de connexion est mise en œuvre par un officier de police judiciaire en exécution d’une commission rogatoire, cette commission rogatoire, datée et signée par le magistrat, précise la nature de l’infraction, objet des poursuites, et fixe le délai dans lequel elle doit être retournée avec les procès-verbaux dressés pour son exécution par l’officier de police judiciaire. Ces réquisitions doivent se rattacher directement à la répression de cette infraction et sont, conformément à l’article 152 du code de procédure pénale, mises en œuvre sous la direction et le contrôle du juge d’instruction.

En outre, conformément aux articles 175-2 et 221-1 du code de procédure pénale, la durée de l’information ne doit pas, sous le contrôle de la chambre de l’instruction, excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l’exercice des droits de la défense.

De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel a déduit que les dispositions contestées opéraient une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée. Il les a jugées conformes à la Constitution.

picto DC La 1 000e QPC

Le 25 avril 2022, le Conseil constitutionnel a enregistré sa millième saisine dans le cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), instituée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et mise en œuvre depuis le 1er mars 2010. Elle portait sur l’accès à des données de connexion dans le cadre de la procédure pénale. En vertu de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation d’une QPC présentée par tout justiciable à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, est compétent pour dire si une disposition législative porte ou non atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Depuis douze ans, ce nouveau droit reconnu au citoyen permet ainsi au Conseil constitutionnel d’opérer un contrôle a posteriori des lois (après la promulgation de la loi), alors que, précédemment, il ne pouvait examiner la conformité de la loi à la Constitution qu’a priori (avant sa promulgation) et à la condition d’en être saisi par des autorités publiques ou parlementaires. Dès le printemps 2019, le nombre total de saisines a posteriori traitées par le Conseil consti­tutionnel avait dépassé le nombre de saisines a priori dont il a traité depuis sa propre création en 1958. L’enregistrement de cette millième QPC constitue un nouvel indice du succès de la QPC, que le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, désigne volontiers comme la « question citoyenne ». Conformément au souhait du président Fabius, le Conseil consti­­tutionnel déploiera d’ici le début de l’année 2023 un portail internet de la question prioritaire de constitutionnalité, qui innovera en permettant à toutes et tous d’avoir une vision complète de l’actualité de la QPC devant l’ensemble des juridictions

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