Titre VII

N° 3 - octobre 2019

Éditorial d'Éleonora Bottini, Professeure à l'Université de Caen Normandie

L'année 1900, année de l'Exposition universelle, est aussi celle d'un autre événement tout autant exceptionnel et ouvert vers le monde, tenu également à Paris : le Congrès international de droit comparé. En encourageant le droit comparé à se constituer comme discipline juridique à part entière, Raymond Saleilles, citant Josef Kolher, affirme qu'« il n'est pas une seule de nos institutions dont les éléments essentiels ne soient empruntés à ce qui forme le fonds de culture de l'ensemble des États civilisés ». Il s'agit à l'époque de comparer les institutions du droit privé, et, surtout, les législations. Les institutions du droit public et a fortiori les constitutions apparaissent alors aux juristes bien trop ancrées dans leurs cultures nationales pour faire l'objet d'une comparaison, entreprise qui était par conséquent cantonnée à la science politique.

Plus d'un siècle plus tard, ce scepticisme vis-à-vis du droit constitutionnel comparé s'est-il atténué ?

Ce numéro de Titre VII va dans ce sens : la revue contient désormais une Chronique de droit constitutionnel comparé. L'impossibilité de comparer des constitutions et leur interprétation par les juridictions semble appartenir à une époque désormais révolue, tant en France qu'à l'étranger. La comparaison, de plus en plus diffuse dans le travail doctrinal des constitutionnalistes, existe également dans le travail juridictionnel où le droit comparé, tout en restant implicite dans les arrêts, représente l'un des rouages invisibles du contentieux constitutionnel.

Dans un monde globalisé où les systèmes juridiques nationaux ne peuvent plus se permettre de rester cloisonnés, il est indispensable de connaître l'actualité du contentieux constitutionnel des pays voisins de la France, tels que l'Allemagne, l'Italie ou encore l'Espagne. Cet intérêt s'élargit désormais également au-delà des pays occidentaux pour inclure des cours constitutionnelles moins souvent étudiées par les juristes européens.

En instaurant un dialogue constant entre la doctrine et les juridictions, il ne s'agit pas comme dans le rêve de Saleilles de transposer des modèles étrangers en droit interne, et encore moins s'agit-il de tendre vers un rapprochement unifiant entre les différents ordres juridiques. La démarche comparatiste des constitutionnalistes, sans être pour autant purement heuristique, se limite à fournir des outils de travail et des termes de comparaison. Certaines juridictions constitutionnelles emploient des chercheurs spécialisés dans des systèmes juridiques étrangers, ainsi en est-il du Conseil constitutionnel depuis 2016 ; d'autres publient des bulletins de jurisprudence étrangère ou des études sur les systèmes juridiques étrangers ; sans que cela ait de caractère impératif ou systématique.

Et si l'absence de systématicité du droit comparé était plutôt une opportunité qu'une limite, laissant la possibilité d'appréhender la globalisation avec un instrument plus souple que le droit international et supranational ?

Citer cet article

Éleonora BOTTINI. « Éditorial d'Éleonora Bottini, Professeure à l'Université de Caen Normandie », Titre VII [en ligne], n° 3, La séparation des pouvoirs, octobre 2019. URL complète : https://webview-ccfr.sites.prod.conseilconstitutionnel.aquaray.com/publications/titre-vii/editorial-d-eleonora-bottini-professeure-a-l-universite-de-caen-normandie