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Décision n° 2022-1004 QPC du 22 juillet 2022 - Décision de renvoi CE

Union des associations diocésaines de France et autres [Régime des associations exerçant des activités cultuelles]
Conformité - réserve

Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 18/05/2022, 461800, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 10ème - 9ème chambres réunies

N° 461800
ECLI : FR : CECHR : 2022 : 461800.20220518
Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 18 mai 2022
Rapporteur
Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public
Mme Esther de Moustier
Avocat(s)
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

I. Sous le numéro 461800, par un mémoire distinct et un nouveau mémoire enregistrés les 25 février et 3 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Union des associations diocésaines de France, Monseigneur A... de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Eglise protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation du décret n° 2021-1789 du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907 dans leur version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021.

II. Sous le numéro 461803, par un mémoire distinct et un nouveau mémoire enregistrés les 25 février et 3 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Union des associations diocésaines de France, Monseigneur A... de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Eglise protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation du décret n° 2021-1844 du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 dans leur version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 9 décembre 1905 ;
- la loi du 2 janvier 1907 ;
- la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 ;
- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de Mme B... de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Union des associations diocésaines de France et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées présentant à juger des questions communes, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. L'Union des associations diocésaines de France, Monseigneur A... de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Eglise protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, sous le n° 461800, le décret du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes et, sous le n° 461803, le décret du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905. Par des mémoires distincts présentés à l'appui de leurs contestations, ils soutiennent, sous le n° 461800, que les articles 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, et sous le n° 461803, que les articles 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, dans leur version résultant de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur la question prioritaire de constitutionalité soulevée sous le n° 461803

4. Aux termes de l'article 19-1 de la loi du 9 décembre 1905 : « Pour bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles prévus par les dispositions législatives et réglementaires, toute association constituée conformément aux articles 18 et 19 de la présente loi doit déclarer sa qualité cultuelle au représentant de l'Etat dans le département, sans préjudice de la déclaration prévue à l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. / Le représentant de l'Etat dans le département peut, dans les deux mois suivant la déclaration, s'opposer à ce que l'association bénéficie des avantages mentionnés au premier alinéa du présent article s'il constate que l'association ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions prévues aux articles 18 et 19 de la présente loi ou pour un motif d'ordre public. Lorsqu'il envisage de faire usage de son droit d'opposition, il en informe l'association et l'invite à présenter ses observations dans un délai d'un mois. / En l'absence d'opposition, l'association qui a déclaré sa qualité cultuelle bénéficie des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles pendant une durée de cinq années, renouvelable par déclaration au représentant de l'Etat dans le département dans les conditions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article. / Le représentant de l'Etat dans le département peut, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au deuxième alinéa, retirer le bénéfice des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles, après mise en œuvre d'une procédure contradictoire. / Les modalités d'application du présent article, notamment les documents permettant à l'association de justifier de sa qualité cultuelle, les conditions dans lesquelles est renouvelée la déclaration et les conditions dans lesquelles s'exerce le droit d'opposition de l'administration, sont précisées par décret en Conseil d'Etat ». Il résulte de l'article 19-2 de la même loi que : « I.- Le financement des associations cultuelles est assuré librement dans les conditions prévues au présent article et à l'article 19-3. / II.-Les associations cultuelles peuvent recevoir les cotisations prévues à l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association et le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte. Elles peuvent percevoir des rétributions pour les cérémonies et services religieux, même par fondation, pour la location des bancs et sièges et pour la fourniture des objets destinés au service du culte, au service des funérailles dans les édifices religieux ainsi qu'à la décoration de ces édifices. / Elles peuvent recevoir, dans les conditions prévues au II de l'article 910 et à l'article 910-1 du code civil, les libéralités entre vifs ou par testament destinées à l'accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles. / Elles peuvent posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit, sans préjudice des 2 ° et 3 ° de l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 précitée. / Les ressources annuelles qu'elles tirent des immeubles qu'elles possèdent et qui ne sont ni strictement nécessaires à l'accomplissement de leur objet, ni grevés de charges pieuses ou cultuelles, à l'exclusion des ressources provenant de l'aliénation de ces immeubles, ne peuvent représenter une part supérieure à 50 % de leurs ressources annuelles totales. / Elles peuvent verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d'autres associations constituées pour le même objet. / III. -Elles ne peuvent, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat ni des collectivités territoriales ou de leurs groupements. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations ainsi que pour travaux d'accessibilité aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques ».

5. Les articles 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 issus de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Leurs dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Les griefs tirés de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulèvent, au regard des droits constitutionnels en cause et compte tenu de la portée donnée à la déclaration de la qualité cultuelle, une question qui, sans qu'il soit besoin pour le Conseil d'Etat d'examiner le caractère sérieux des griefs, doit être regardée comme nouvelle au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur la question prioritaire de constitutionalité soulevée sous le n° 461800

6. Aux termes de l'article 4 de la loi du 2 janvier 1907 : « Indépendamment des associations soumises au titre IV de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, l'exercice public d'un culte peut être assuré par voie de réunions tenues sur initiatives individuelles en application de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion et dans le respect des articles 25, 34, 35, 35-1, 36 et 36-1 de la loi du 9 décembre 1905 précitée. / L'exercice public d'un culte peut également être assuré au moyen d'associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. / Ces associations sont soumises aux articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 9 bis et 17 de la loi du 1er juillet 1901 précitée ainsi qu'au troisième alinéa de l'article 19 et aux articles 19-3, 25, 34, 35, 35-1, 36, 36-1 et 36-2 de la loi du 9 décembre 1905 précitée ». Aux termes de l'article 4-1 de la même loi : « Les associations mentionnées au deuxième alinéa de l'article 4 de la présente loi sont également soumises aux deux premières phrases du premier alinéa et aux deuxième à cinquième alinéas de l'article 21 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat. Elles établissent leurs comptes annuels de sorte que leurs activités en relation avec l'exercice public d'un culte constituent une unité fonctionnelle présentée séparément. Elles sont tenues de consacrer un compte ouvert dans un établissement mentionné à l'article L. 521-1 du code monétaire et financier à l'exercice de l'ensemble des transactions financières liées à leur activité d'exercice public du culte. / Lorsqu'elles perçoivent des ressources collectées par un appel public à la générosité destiné à soutenir l'exercice du culte, elles sont soumises à l'article 4 de la loi n° 91-772 du 7 août 1991 relative au congé de représentation en faveur des associations et des mutuelles et au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique, dans des conditions définies par un décret en Conseil d'Etat, qui fixe notamment le seuil à compter duquel le même article 4 s'applique. / Elles assurent la certification de leurs comptes, sans préjudice de l'application de l'article 4-1 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat et du dernier alinéa du II de l'article 19-3 de la loi du 9 décembre 1905 précitée : / 1 ° Lorsqu'elles délivrent des documents tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations permettant à un contribuable d'obtenir une réduction d'impôt en application des articles 200 et 238 bis du code général des impôts ; / 2 ° Lorsque le montant des subventions publiques reçues annuellement dépasse un seuil défini par décret en Conseil d'Etat ; / 3 ° Lorsque leur budget annuel dépasse un seuil défini par décret en Conseil d'Etat. / Les deux derniers alinéas de l'article 23 de la loi du 9 décembre 1905 précitée sont applicables en cas de non-respect du présent article ». Aux termes de l'article 4-2 de la même loi : « Le représentant de l'Etat dans le département, lorsqu'il constate qu'une association mentionnée au deuxième alinéa de l'article 4 ne prévoit pas dans son objet l'accomplissement d'activités en relation avec l'exercice public d'un culte, met en demeure l'association, dans un délai qu'il fixe et qui ne peut être inférieur à un mois, de mettre son objet en conformité avec ses activités. / A l'expiration du délai prévu au premier alinéa, le représentant de l'Etat dans le département peut, si l'association n'a pas satisfait à la mise en demeure, prononcer une astreinte d'un montant maximal de 100 euros par jour de retard. / Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article ».

7. Les articles 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907, issus de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Leurs dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Les griefs tirés de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulèvent, au regard des droits constitutionnels en cause et de l'étendue des obligations pesant désormais sur les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 et ayant des activités cultuelles, une question qui, sans qu'il soit besoin pour le Conseil d'Etat d'examiner le caractère sérieux des griefs, doit être regardée comme nouvelle au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ainsi soulevées.

D E C I D E :
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Article 1er : Les questions de la conformité à la Constitution des articles 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 et des articles 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907 issus de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République sont renvoyées au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes de l'Union des associations diocésaines de France et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché les questions de constitutionnalité ainsi soulevées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union des associations diocésaines de France, première requérante dénommée, et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Aladjidi Frédéric présidents de chambre, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, M. Alain Seban, conseillers d'Etat, et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.
Rendu le 18 mai 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Naouel Adouane

ECLI : FR : CECHR : 2022 : 461800.20220518