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Décision n° 2021-971 QPC du 18 février 2022 - Décision de renvoi CE

France nature environnement [Prolongation de plein droit de certaines concessions minières]
Non conformité de date à date - réserve

Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 03/12/2021, 456524, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 6ème - 5ème chambres réunies

N° 456524
ECLI : FR : CECHR : 2021 : 456524.20211203
Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 03 décembre 2021
Rapporteur
Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public
M. Olivier Fuchs
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1 ° Sous le n° 456524, par un mémoire distinct et un autre mémoire, enregistrés les 10 septembre et 20 octobre 2021, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête entendant à l'annulation du décret du 7 juin 2021 accordant à la Compagnie Minière de Boulanger la prolongation de la concession de mines de métaux précieux, leurs minerais et pierres précieuses, dite « Concession n° 32 » (Guyane) et réduisant la superficie de cette concession, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 142-7 à L. 142-9 et L. 144-4 du code minier et de la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement.

2 ° Sous le n° 456525, par un mémoire distinct et un autre mémoire, enregistrés les 10 septembre et 20 octobre 2021, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête entendant à l'annulation du décret du 7 juin 2021 accordant à la Compagnie Minière de Boulanger la prolongation de la concession de mines de métaux précieux, leurs minerais et pierres précieuses, dite « Concession n° 6 » (Guyane) et réduisant la superficie de cette concession, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 142-7 à L. 142-9 et L. 144-4 du code minier et de la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement.

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3 ° Sous le n° 456528, par un mémoire distinct et un autre mémoire, enregistrés les 10 septembre et 20 octobre 2021, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête entendant à l'annulation du décret du 7 juin 2021 accordant à la Compagnie Minière de Boulanger la prolongation de la concession de mines de métaux précieux, leurs minerais et pierres précieuses, dite « Concession n° 86 » (Guyane) et réduisant la superficie de cette concession, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 142-7 à L. 142-9 et L. 144-4 du code minier et de la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement.
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4 ° Sous le n° 456529, par un mémoire distinct et un autre mémoire, enregistrés les 10 septembre et 20 octobre 2021, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête entendant à l'annulation du décret du 7 juin 2021 accordant à la Compagnie Minière de Boulanger la prolongation de la concession de mines de métaux précieux, leurs minerais et pierres précieuses, dite « Concession n° 651 » (Guyane) et réduisant la superficie de cette concession, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 142-7 à L. 142-9 et L. 144-4 du code minier et de la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule, la Charte de l'environnement et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'environnement, notamment son article L. 123-19-2 ;
- le code minier, notamment ses articles L. 142-7 à L. 142-9 et L. 144-4 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. A l'appui de ses demandes tendant à l'annulation des quatre décrets du 7 juin 2021 par lesquels le Premier ministre a accordé à la Compagnie Minière de Boulanger la prolongation, sur une superficie réduite, des concessions de mines de métaux précieux n° 32, n° 6, n° 86 et n° 651 situées sur une partie du territoire de la commune de Roura (Guyane), l'association France Nature Environnement soutient que, faute, d'une part, d'imposer une procédure de participation du public préalable à l'édiction d'une telle décision, et, d'autre part, de permettre à l'autorité administrative, appelée à se prononcer sur une demande de prolongation de concession minière, de tenir compte d'éventuelles atteintes à l'environnement, les articles L. 142-7 à L. 142-9 et L. 144-4 du code minier et la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement méconnaissent les articles 1er, 2, 3 et 7 de la Charte de l'environnement, les articles 1er, 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 et l'article 34 de la Constitution.

Sur la condition tenant à l'applicabilité au litige :

3. Aux termes de l'article L. 144-4 du code minier : « Les concessions de mines instituées pour une durée illimitée expirent le 31 décembre 2018. La prolongation des concessions correspondant à des gisements exploités à cette date est accordée de droit dans les conditions prévues à la sous-section 2 de la section 1 du chapitre 2 du présent titre ». Aux termes de l'article L. 142-7 du même code : « La durée d'une concession de mines peut faire l'objet de prolongations successives, chacune d'une durée inférieure ou égale à vingt-cinq ans ». Aux termes de son article L. 142-8 : « La prolongation d'une concession est accordée par décret en Conseil d'Etat. ». Aux termes de son article L. 142-9 : « Au cas où, à la date d'expiration de la période de validité en cours, il n'a pas été statué sur la demande de prolongation, le titulaire de la concession reste seul autorisé, jusqu'à l'intervention d'une décision de l'autorité administrative, à poursuivre ses travaux dans les limites du ou des périmètres sur lesquels porte la demande de prolongation ». Enfin, aux termes de la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, qui définit les conditions dans lesquelles les décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent être soumises à participation du public sont soumises à une telle procédure : « Les décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie ne sont pas non plus soumises aux dispositions du présent article. »

4. D'une part, si l'article L. 132-3 du code minier dispose qu'une concession minière est accordée après une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement, il ne résulte d'aucun texte qu'une telle exigence serait également requise préalablement à la prolongation d'une concession minière. Eu égard à son objet et à ses effets, la décision par laquelle l'autorité administrative accorde la prolongation d'une concession ne peut être regardée comme une simple prorogation de la décision accordant la concession initiale au sens de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement. Dès lors, en l'absence de dispositions législatives particulières régissant les conditions dans lesquelles une telle décision de prolongation de concession minière est prise, et eu égard à ses incidences directes et significatives sur l'environnement, il résulte des dispositions du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, qui met en œuvre le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement pour les décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent être soumises à participation du public, que la prolongation d'une concession minière, y compris lorsqu'elle est de droit en application de l'article L. 144-4 du code minier, doit être soumise à une procédure préalable de participation du public dans les conditions définies par cet article. Par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, en ce qu'elles prévoient que les décisions qui prorogent une décision soumise à la consultation du public en sont dispensées, ne sont pas applicables au litige.

5. D'autre part, les quatre décrets attaqués ont été édictés sur le fondement de l'article L. 144-4 du code minier, qui prévoit que la prolongation des concessions de mines initialement instituées pour une durée illimitée est accordée de droit, dans les conditions prévues aux articles L. 142-7 à L. 142-9 du code minier. Eu égard à la teneur de son argumentation, l'association requérante doit être regardée comme contestant uniquement la seconde phrase de l'article L. 144-4 du code minier, aux termes de laquelle la prolongation des concessions correspondant à des gisements exploités à la date du 31 décembre 2018 est accordée de droit dans les conditions prévues à la sous-section 2 de la section 1 du chapitre 2 du titre Ier du code minier, c'est-à-dire aux articles L. 142-7 à L. 142-9 du code minier.

6. Il résulte de ce qui précède que la seconde phrase de l'article L. 144-4 du code minier et les articles L. 142-7 à L. 142-9 du code minier doivent être regardés comme remplissant la condition d'applicabilité au litige.

Sur les autres conditions :

7. La seconde phrase de l'article L. 144-4 du code minier et les articles L. 142-7 à L. 142-9 de ce code n'ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, qui prévoient qu'une concession de mines initialement instituée pour une durée illimitée est prolongée de droit à la seule condition que les gisements sur lesquels elles portent soient encore exploités, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux articles 1er, 2 et 3 de la Charte de l'environnement, soulève une question présentant un caractère sérieux.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnalité la question prioritaire de constitutionnalité indiquée au point 7.

D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de la seconde phrase de l'article L. 144-4 et des articles L. 142-7 à L. 142-9 du code minier est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les autres questions prioritaires de constitutionnalité.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur les requêtes de l'association France Nature Environnement jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et à la Compagnie Minière de Boulanger SAS.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la Section du contentieux, présidant ; M. Fabien Raynaud, président de chambre ; Mme H... D..., M. F... B..., Mme C... E..., M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 3 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
La secrétaire :
Signé : Mme G... A...

ECLI : FR : CECHR : 2021 : 456524.20211203