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Décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 - Décision de renvoi CE

Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT et autre [Restructuration des branches professionnelles]
Non conformité partielle - réserve

Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 02/10/2019, 431750, Inédit au recueil Lebon

N° 431750
ECLI : FR : CECHR : 2019 : 431750.20191002
Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 02 octobre 2019

Rapporteur
M. Olivier Fuchs
Rapporteur public
M. Raphaël Chambon
Avocat(s)
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 18 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle) et le syndicat français des artistes-interprètes CGT (SFA-CGT) demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 9 avril 2019 de la ministre du travail portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision (IDCC 1734) à la convention collective de la production audiovisuelle (IDCC 2642), de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 2261-32, L. 2261-33 et L. 2261-34 du code du travail.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Fuchs, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle et du syndicat français des artistes-interprètes ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, dispose que : « I. Le ministre chargé du travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues : 1 ° Lorsque la branche compte moins de 5 000 salariés ; / 2 ° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts ; / 3 ° Lorsque le champ d'application géographique de la branche est uniquement régional ou local ; / 4 ° Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ; / 5 ° En l'absence de mise en place ou de réunion de la commission prévue à l'article L. 2232-9 ; / 6 ° En l'absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. / Cette procédure peut également être engagée pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives. / Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs observations sur ce projet de fusion. / Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. / Lorsque deux organisations professionnelles d'employeurs ou deux organisations syndicales de salariés représentées à cette commission proposent une autre branche de rattachement, par demande écrite et motivée, le ministre consulte à nouveau la commission dans un délai et selon des modalités fixés par décret. / Une fois le nouvel avis rendu par la commission, le ministre peut prononcer la fusion. / (...) V. Sauf dispositions contraires, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ».

3. Aux termes de l'article L. 2261-33 du même code : « En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 ou en cas de conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions existantes, les stipulations conventionnelles applicables avant la fusion ou le regroupement, lorsqu'elles régissent des situations équivalentes, sont remplacées par des stipulations communes, dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement. Pendant ce délai, la branche issue du regroupement ou de la fusion peut maintenir plusieurs conventions collectives. / Eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, les différences temporaires de traitement entre salariés résultant de la fusion ou du regroupement ne peuvent être utilement invoquées pendant le délai mentionné au premier alinéa du présent article. / A défaut d'accord conclu dans ce délai, les stipulations de la convention collective de la branche de rattachement s'appliquent ».

4. Enfin, l'article L. 2261-34 du même code dispose : « Jusqu'à la mesure de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs qui suit la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 ou de la conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions préexistantes, sont admises à négocier les organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion ou au regroupement. / La même règle s'applique aux organisations syndicales de salariés. / Les taux mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 2261-19 et à l'article L. 2232-6 sont appréciés au niveau de la branche issue de la fusion ou du regroupement ».

5. Par un arrêté du 9 avril 2019, la ministre du travail a procédé à la fusion de plusieurs champs conventionnels sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 2261-32 du code du travail. A l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision (IDCC 1734) à la convention collective de la production audiovisuelle (IDCC 2642), la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle) et le syndicat français des artistes-interprètes CGT (SFA-CGT) font valoir, par un mémoire distinct, que les dispositions des articles L. 2261-32, L. 2261-33 et L. 2261-34 du code du travail portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Ils soutiennent à cet égard que le législateur a méconnu les principes de la liberté contractuelle et du droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, de la liberté syndicale, de la « liberté de négociation collective » et de la participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que par les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

6. Les dispositions des I et V de l'article L. 2261-32 du code du travail ainsi que celles des articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du même code, qui régissent la procédure applicable à la fusion du champ d'application de conventions collectives, sont applicables au litige au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. En revanche, les dispositions des II à IV de l'article L. 2261-32 du même code, qui portent respectivement sur l'élargissement d'une convention collective, le refus d'extension d'une telle convention ou la décision de ne pas arrêter la liste des organisations reconnues représentatives pour une branche professionnelle, ne sont pas applicables au litige.

7. Les dispositions des I et V de l'article L. 2261-32 du code du travail ainsi que celles des articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du même code n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

8. En outre, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CGT spectacle et le SFA-CGT en tant qu'elle porte sur les I et V de l'article L. 2261-32 du code du travail et sur les articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du même code.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des I et V de l'article L. 2261-32 du code du travail et des articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du même code est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en tant qu'elle porte sur les dispositions des II à IV de L. 2261-32 du code du travail.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT et du syndicat français des artistes-interprètes CGT, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité renvoyée par l'article 1er de la présente décision.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT, au syndicat français des artistes-interprètes CGT, à la ministre du travail et au Premier ministre.

ECLI : FR : CECHR : 2019 : 431750.20191002