Décision n° 2019-813 QPC du 15 novembre 2019 - Décision de renvoi CE
Conseil d'État
N° 431784
ECLI : FR : CECHR : 2019 : 431784.20190916
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats
lecture du lundi 16 septembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B..., à l'appui de sa demande tendant au dégrèvement de la cotisation d'impôt sur le revenu et des contributions sociales acquittées au titre de l'attribution de 17 500 actions de la société de droit américain Manitowoc Foodservice Inc. dont il a bénéficié le 4 mars 2016, pour une valeur de 215 519 euros, a produit un mémoire, enregistré le 11 février 2019 au greffe du tribunal administratif de Montreuil, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002.
Par une ordonnance n° 1806895 QPC du 18 juin 2019, enregistrée le 19 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive n° 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire ;
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans le cadre de la scission partielle de la société de droit américain Manitowoc Company Inc., M. B..., qui détenait 17 500 actions de cette société, a reçu le 4 mars 2016 17 500 actions de la nouvelle société Manitowoc Food Service Inc., issue de l'opération. Cette attribution de titres a fait l'objet d'une imposition dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre de l'année 2016, en raison du défaut d'agrément préalable accordé à la société Manitowoc Company Inc., apporteuse. Le président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Montreuil, saisi de la demande de M. B... tendant à la décharge de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi acquittés, a transmis au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par un mémoire distinct, portant sur les dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1275 du 29 décembre 2001 de finances pour 2002.
2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. D'une part, aux termes du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1275 du 29 décembre 2001 de finances pour 2002 : « Les dispositions prévues au 2 de l'article 115 sont applicables en cas d'apport partiel d'actif par une société étrangère et placé sous un régime fiscal comparable au régime de l'article 210 A ». Aux termes de l'article 115 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : « 1. En cas de fusion ou de scission de sociétés, l'attribution de titres, sommes ou valeurs aux membres de la société apporteuse en contrepartie de l'annulation des titres de cette société n'est pas considérée comme une distribution de revenus mobiliers. / (...) / 2. Les dispositions du 1 s'appliquent également sur agrément délivré à la société apporteuse dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies, en cas d'attribution de titres représentatifs d'un apport partiel d'actif aux membres de la société apporteuse, lorsque cette attribution, proportionnelle aux droits des associés dans le capital, a lieu dans un délai d'un an à compter de la réalisation de l'apport. » Il résulte de ces dispositions combinées que l'attribution de titres représentatifs d'un apport partiel d'actif par une société étrangère et placée sous un régime fiscal comparable au régime de l'article 210 A du code général des impôts, est assujettie à l'impôt sur le revenu au titre des capitaux mobiliers, y compris dans le cas où cet apport correspond à une opération de scission partielle, sauf dans le cas où la société apporteuse a obtenu l'agrément prévu à l'article 1649 nonies de ce code.
4. D'autre part, aux termes de l'article 2 de la directive du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents : « Aux fins de l'application de la présente directive, on entend par : / (...) c) » scission partielle ", l'opération par laquelle une société transfère, sans être dissoute, une ou plusieurs branches d'activité à une ou plusieurs sociétés préexistantes ou nouvelles, en laissant au moins une branche d'activité dans la société apporteuse, en échange de l'attribution à ses associés, au prorata, de titres représentatifs du capital social des sociétés qui bénéficient des éléments d'actif et de passif et, éventuellement, d'une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres (...) ". Aux termes du 2 de l'article 8 de la même directive : « L'attribution, à l'occasion d'une scission partielle, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire à un associé de la société apporteuse ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé ». Enfin, aux termes de l'article 15 de la même directive : « 1. Un État membre peut refuser d'appliquer tout ou partie des dispositions des articles 4 à 14 ou d'en retirer le bénéfice lorsqu'une des opérations visées à l'article 1er : / a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales ; le fait que l'opération n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l'opération, peut constituer une présomption que cette opération a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales (...) ».
5. Les dispositions contestées des articles 115 et 121 du code général des impôts, issues de textes législatifs antérieurs à la directive du 19 octobre 2009 et qui n'ont pas été modifiées à la suite de l'intervention de cette directive, doivent être regardées comme assurant la transposition des dispositions de la directive citées au point 4. Or il résulte des dispositions de cette directive, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service (C-14/16), qu'elles s'opposent à ce que la législation d'un Etat membre soumette l'octroi des avantages fiscaux qu'elles prévoient à une procédure d'agrément préalable, laquelle repose sur une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales. Par suite, les dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts dans sa rédaction contestée, en ce qu'elles renvoient au 2 de l'article 115 du même code, ne peuvent s'appliquer, sans méconnaître les objectifs de la directive du 19 octobre 2009, aux distributions réalisées dans le cadre d'une opération de scission partielle d'une société établie dans un Etat membre de l'Union européenne.
6. Dès lors, les dispositions contestées du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, dans la mesure où elles rendent applicables les dispositions du 2 de l'article 115 du même code, qui ne peuvent être légalement appliquées aux distributions réalisées dans le cadre d'une scission partielle que si la société apporteuse est établie en France ou dans un Etat tiers à l'Union européenne, créent une différence de traitement selon l'Etat dans lequel est établie la société apporteuse. Ces dispositions, qui sont applicables au litige dès lors qu'elles ont été opposées au requérant, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1275 du 29 décembre 2001 de finances pour 2002, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. B... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre.