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Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 - Saisine par Président du Sénat

Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Non conformité partielle - réserve

Monsieur le Président,

La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique vient d 'être votée par le Parlement. Sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, j 'ai l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'article 25 de cette loi, afin qu' il en examine la conformité à la Constitution.

En vertu du projet de loi déposé par le Gouvernement, cet article (alors article 13) fixait les règles applicables aux relations que les représentants d'intérêts peu vent nouer avec l e Gouvernement. Ses dispositions ont été profondément remaniées par l'Assemblée nationale qui a élargi le périmètre des pouvoirs publics soumis à ces règles, contre l'avis du Gouvernement sur plusieurs points. Les députés ont envisagé, dans un premier mouvement, de soumettre à ces règles le Président de la République, les parlementaires, leurs collaborateurs et les fonctionnaires par lementaires ainsi que les membres du Conseil constitutionnel. Par souci du respect du principe de séparation des pouvoirs, l'Assemblée nationale a finalement exclu le Président de la République et les membres du Conseil constitutionnel du champ du dispositif.

En dépit de l'oppositon du Sénat, le même motif n'a pas totalement prévalu s'agissant des membres des assemblées parlementaires, alors qu 'il devait aboutir à les exclure eux aussi.

C'est la raison pour laquelle je vous saisis, en ma qualité de Président du Sénat , afin que le Conseil constitutionnel examine l'atteinte que porte cet article au principe de séparation des pouvoirs, con sacré à l 'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen d e 1789 et qui fonde l 'autonomie des assemblées parlementaires.

Les dispositions de l 'article 25 déféré méconnaissent le pricipe de séparation des pouvoirs en ce qu'elles empiètent sur l 'autonomie des assemblées parlementaires. Cette atteinte à la séparation des pou voi rs n 'a aucun fondement constituti onnel et ne saurait , en tout état de cause, relever de la loi ordina ire.

Au surplus, les dispositions déférées portent atteinte au principe de légalité des délits
et des peines.

Le Conseil constitutionnel veille au respect de la séparation des pouvoirs, comme l'atteste sa décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rect ificative pour 2012 (1).

Les dispositions déférées portent atteinte à l'autonomie des pouvoirs ublics constitutio nnels qui bénéficie notamment aux assemblées parlementaires . Elles privent en effet ces assemblées du pouvoir de déterminer en toute indépendan ce des éléments essentiels du régim e encadrant les rapports de leurs membres, agen ts et collaborateurs, avec les représentants d'intérêts, empiétant ai nsi sur u ne compétence normati ve qui doit appartenir en propre à chaq ue assemb lée parlemen taire pour pr éserver son autonom ie
Le Sénat, tout comme l 'Assemblée nationale, se voit privé de la possibilité
de déterminer librement le champ d'application du régime encadrant ses rapports avec les représentant s d'intérêts, qui est fixé par la loi de façon contraignante. Si l'article 18-4, inséré par la loi déférée dans la loi n° 20 13-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la v ie publique, donne compétence aux organes internes des assemblées parlementaires pour fixer les règles applicables aux représentants d 'intérêt au sein de ces assemblées, en vertu d 'u n nouvel article 4 quinquies de l 'ordonnance n °58- ll 00 du 1 7 n ovembre 1958 relat ve au fonction nemen t des assemblées parlementaires, l 'article 18-6 inséré dans la même loi ne préserve pas l 'autonomie décisionnelle des assemb ées pa rl em enta ires.

Les dispositions déférées subordonnent en effet le Sénat et l'Assemblée nationale à une autori té administrative extérieure, l a Haute autorité pour la transparence de la v ie pub lique. Aux termes de l 'article 18-6 inséré dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, la Haute autorité peu t être sa isie par l'ensem ble des représentant s des pou voirs pub lics (mention nés à l 'articl e 18-2), ainsi q ue par toute associ ation agréée par elle, sur l a qu estion de savoi r si u ne personn e physique ou morale répond aux critères permettant de la qualifier de « représentant d ' intérêts ». Le Bureau d'une assemblée parlementaire pourra ainsi se trouver contraint par l 'appréciation d 'une autorité administrative extérieure sur la question même de savoir si une personne entre ou non dans le champ de sa propre règlementation fixée sur le fondement de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Un tel em piètemen t d 'u ne autorité administrative sur le pouvoir décisionnel du Bureau d'une assemblée parlementaire est contraire au principe de séparation des pouvoi rs. C'est d 'ailleurs en suivant ce raisonnement que le Conseil constitutionnel, lors de ll'examen de la loi orga niqu e relati ve à la transparence de la vie publique et de la loi relative à la transparence de la vie publique, a veillé scrupuleusement à ce que « la décision de la Haute autorité ne s'impose nullement [aux] autorités [parlementaires  » (3)

Il ne peut être porté atteinte au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs que lorsqu'une autre règle constitutionnelle le prévoit expressément, et dans cette mesure uniquement (4) . En l 'espèce, aucune règle ni aucun principe constitutionnels ne fonde l'encadrement des relations entre les représentants d'intérêt et les parlementaires et les personnes exerçant leurs fonctions au sein des assemblées parlementaires.

L'article 25 de la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes duquel « Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assem bl ée, le nombre de ses mem bres, leur in demnité, l es cond ition s d'éligibilité, le régime des in él igib ilités et des incompatibilités » ne peut pa s être entendu comme au torisant la loi à en cadrer les relations des parlementaires avec les représentants d'intérêt.

En tout état de cause, si l'arti cle 25 de la Constitution devait être regardé comme ayant cette portée, comme le Conseil constitutionnel l 'a jugé pour certaines obligations déontologiques, les nonnes en cause relèveraient du dom a ine de la loi organique et non de la compétence du législateur ordinaire (5).

L'article 25 de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corrupti on et à la modernisation de la vie économique me paraît donc, pour ces motifs et dans cette mesure, contraire à la Constitution.

Au surplus, les dispositions contestées portent attein te au p incipe de légalité des délits et des peines. L'imprécision de la définition des « représentants d 'intérêts » (à l 'article 18-2 a inséré dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique n e permet de fixer de façon su ffisamment certaine ni le champ d 'application du répertoire institué pa r ces d isposit ion s n i cel ui des obligations imposées par la nouvelle section 3 bis du chapitre 1er de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique
ain si i nséré, qu i comporte pourtant des sanction s pén ales. Les disposit ions déférées désignent notamment comme « représentants d 'in térêts » sou m is à ce régime toutes les per sonnes qui ont pour activi té « d' influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d 'une loi ou d'un acte règlementaire », sans définir la consistance de cette « influence », ni fixer l 'étendue du champ de la « décision publique » concemée.

Dès lors que les manquements aux obligations qui sont imposées au x « représentants d 'i ntérêts » sont pa ssi b les de sancti ons péna les (amende et emprisonnement, articles 1 8-9 et 1 8- 1 0 a insérés dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, l 'imprécision de cette définition constitue une méconnaissance par le législateur de l 'article 8 de la Déclaration des Droits de l ' Homme et du Citoyen de 1789 et de l 'obliigation con sti t u tion nel le qui lui ncombe d 'épuiser sa compétence en fixant lui-même le champ d'applicat ion de la loi pénale et en définissant les crimes et délits dans des termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines.

Il est de mon devoir de Président du Sénat de veiller scrupuleusement à l'autonomie de mon asse blée parlementaire, afin qu 'elle puisse exercer en toute indépendance les prérogatives qui lui sont assignées par nos règles institutionnelles. Je demande au Conseil con stitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions contestées qui portent atteinte au principe essentiel à notre démocratie qu'est la séparation des pouvoirs.

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1 Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012 (s'agissant de la fixation du traitement du Chef de l 'Etat et du Premier ministre) : (en modifiant le traitement du Président de la République et du Premier ministre, l'article 40 de la loi déférée méconnaître et le principe de la séparation des pouvoirs ; que, par suit e, il doit être déclaré contra ire à la Constitution
2. QPC 2011-129, 13 mai 201 1, Syndicat des fonctionnaires du Sénat [Actes internes des
Assemblées parlementaires]
3. Commentaire aux Cahiers Décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique : « il appartient au législateur organique, en vertu de l'article 25 de la Constitution, de fixer les règles
4. Décision n° 20 14-703 DC du 19 novembre 20Il.
5. Décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique : « il appartient au législateur organique, en vertu de l'article 25 de la Constitution, de fixer les règles concernant le régime des inéligibilités des membres du Parlement ; qu'il est à ce titre compétent pour fixer les règles relatives au contrôle de la situation patrimoniale des membres du Parlement et à la prévention des conflits d'intérêts »