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Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Non conformité partielle - réserve

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Les Sénateurs requérants considèrent que :
- l'article 6 est contraire aux articles 2, 4, 8, 9 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution ;
- l'article 8 contrevient au principe d'intelligibilité de la loi ;
article 17 contrevient aux principes d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et de légalité des délits et des peines ;
- l'article 25 est contraire aux principes de séparation des pouvoirs, d'égalité devant la
loi, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution et
à la liberté d'entreprendre ;
- l'article 30 est contraire à l'article 4 de la Constitution ;
- l'article 49 est contraire au droit de propriété et à la liberté contractuelle ;
- les articles 59 et 60 portent atteinte au droit des créanciers et droit d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles ;
- l'article 123 est contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu'au principe d'égalité ;
- l'article 134 met en cause la compétence du législateur,
- l'article 137 contrevient à la liberté d'entreprendre,
- l'article 156 met en cause la compétence du législateur,
- l'article 161 est contraire au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ainsi qu'au principe d'égalité devant les charges publiques.

- S'agissant de l'article 6 créant un statut général des lanceurs d'alerte, les Sénateurs requérants considèrent, comme l'a relevé le rapporteur au Sénat, que la définition ainsi élaborée ne répond pas à un « équilibre irréprochable constitutionnellement entre protection et responsabilité des lanceurs d'alerte ».

La définition retenue conditionnera l'irresponsabilité pénale s'attachant au lanceur d'alerte dans le cadre défini, en cas de violation d'un secret protégé par la loi. Or le texte adopté propose une définition élargie du lanceur d'alerte, irresponsable en cas de révélation de faits pourtant légaux.

Les Sénateurs requérants doutent donc de la légitimité d'une exonération de responsabilité pour un tel acte : quelle autre conséquence pour la personne ou l'organisme dont le comportement serait révélé, dans l'hypothèse où le comportement n'est ni sanctionnable ni illicite ?

En effet, il résulte de la jurisprudence de votre Conseil (1) ainsi que des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 34 de la Constitution que le champ d'application de la loi pénale doit être défini en des termes suffisamment clairs et précis. De plus, afin de ne pas méconnaître les principes d'égalité et de proportionnalité, la création d'une exonération de responsabilité doit être suffisamment définie 2, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Par ailleurs, cette définition parait trop floue, selon les requérants, et présenterait une source d'insécurité juridique pour les lanceurs d'alerte eux-mêmes, contrevenant aux principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
En effet, l'expression« une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général » appelle celui qui prend l'initiative de déclencher l'alerte à porter un jugement de valeur sur la situation, devant apprécier la gravité de la menace ou du préjudice.
De plus, la notion de préjudice pour l'intérêt général est incertaine : un préjudice causé à un
intérêt particulier ou collectif pourrait justifier une alerte dès lors que ce préjudice serait jugé par le lanceur d'alerte grave pour l'intérêt général. L'intérêt général serait alors comme privatisé par le lanceur d'alerte qui en définirait donc les contours.

- Alors que, selon les requérants, la définition des lanceurs d'alerte n'est pas suffisamment rigoureuse, il leur apparaît également que les modalités de signalement définies à l'article 8 sont lacunaires.

En effet, le texte qui organise une procédure de signalement graduée et sécurisée ne semble concerner que les salariés et les fonctionnaires employés par l'organisation visée par l'alerte. Or, la définition des lanceurs d'alerte est générale et vise« une personne physique »sans faire référence à son statut de salarié, de préposé ou de collaborateur. Il peut donc s'agir de personnes qui peuvent être des tiers à l'entreprise ou à l'administration visée par l'alerte, comme des clients, des fournisseurs, des membres d'une ONG.

Vraisemblablement, le texte n'a pas entendu remettre en cause la possibilité pour des tiers de se constituer lanceur d'alerte. Pourtant, compte tenu de cette rédaction floue il semblerait aux requérants que les tiers à l'organisation visée par l'alerte seraient fondés à porter directement leur signalement à la connaissance des organismes mentionnés par le texte, voire à le rendre public, quand bien même il ne concernerait pas un danger grave et imminent ou un risque de dommage irréversible.

Les Sénateurs requérants considèrent en conséquence que le texte de cet article, imprécis, contrevient au principe d'intelligibilité de la loi.

- S'agissant de l'article 17 qui instaure une nouvelle obligation, pour les sociétés d'au moins 500 salariés et 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, de mettre en place des procédures internes précises destinées à prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d'influence, en France ou à l'étranger, sous le contrôle de l'Agence française anticorruption et sous peine de sanction par sa commission des sanctions en cas de manquement.

Les Sénateurs requérants considèrent qu'une confusion persiste quant à la responsabilité des personnes devant mettre en œuvre l'obligation de prévention puis du manquement : le texte prévoit que les dirigeants sont tenus de s'acquitter de cette obligation, alors qu'il serait juridiquement cohérent qu'elle s'impose à la société elle-même, d'autant que la sanction semble pouvoir être infligée, en cas de manquement, aux dirigeants mais aussi à la société elle-même, le dispositif de sanction évoquant tour à tour les représentants de la société, les personnes physiques et les personnes morales. Le texte ainsi rédigé contrevient au principe d'intelligibilité et de clarté de la loi.

De plus, du point de vue du droit de la responsabilité, il paraît incohérent de sanctionner la société si l'obligation repose sur ses dirigeants, mais, à l'inverse, faire reposer cette obligation sur les dirigeants, qui pourraient se voir infliger une amende de 200 000 euros, ne semble pas adapté au regard de la cohérence du droit des sociétés.
Les sanctions ainsi prévues doivent être considérées, selon les requérants, comme ayant un caractère punitif. De ce fait, le texte contrevient au principe de légalité des délits et des peines.

Par ailleurs, le texte reprend la notion de« groupe de sociétés », qui n'existe pas dans le code de commerce, et la notion de « groupe public », qui n'existe pas davantage en droit. Ces notions n'étant pas définie en droit français, il apparaît clairement pour les requérants que le champ d'application des nouvelles obligations est flou et contrevient au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

- S'agissant de l'article 25 fixant les règles applicables aux relations que les représentants d'intérêts peuvent nouer avec les pouvoirs publics dans le cadre de l'élaboration de la décision publique.
Une partie importante des collectivités territoriales sont concernées par le répertoire des représentants d'intérêt. Outre le fait qu'au regard du grand nombre de personnes visées, ce répertoire sera impraticable 3, des différences de traitement entre les collectivités territoriales concernées ou non par les obligations nées de la création de ce répertoire surgiront, créant de réelles ruptures d'égalité devant la loi.

Les élus qui sont soumis à ces dispositions et ceux qui en sont exclus, sur la simple base d'un critère démographique. En effet, si l'ensemble des élus départementaux et régionaux ainsi que des collectivités à statut particulier entrent dans le périmètre du répertoire, seuls sont concernés les maires et présidents d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre d'une commune ou d'un établissement comptant plus de 20 000 habitants ainsi que les adjoints au maire et vice-présidents pour une commune ou un établissement comptant plus de 100 000 habitants.

Par ailleurs, la loi établit une différence de traitement entre les représentants d'intérêts eux­ mêmes en n'englobant pas toutes les personnes qui exercent une influence sur la décision publique. En effet, alors que la loi ambitionne de réglementer les rapports entre les pouvoirs publics et les représentants d'intérêts pour une plus grande transparence dans la prise de la décision publique, relativement au contenu de la loi et du règlement, l'article 13 ne concerne que les personnes qui exercent « à titre principal ou régulier » une activité en vue de peser
sur le contenu d'une future norme, sans, par ailleurs, que la régularité ne soit précisément
définie.

L'article 13 fait donc dépendre la régularité d'une activité de lobbying d'une fréquence de rapports entre des personnes physiques ou morales et les représentants des pouvoirs publics. Cet article 13 rompt l'égalité entre les représentants d'intérêts en excluant du dispositif légal les personnes physiques ou morales qui agissent ponctuellement et exceptionnellement auprès des pouvoirs publics. Dans ces conditions, les termes « principale ou régulière » sont contraires à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil d'État, avait d'ailleurs, dans son avis public du 30 mars 2016 contesté la notion de« régularité » pour lui préférer celle de « principale ».

Cette imprécision dans la rédaction, comme l'a souligné le rapporteur au Sénat, interroge les Sénateurs requérants sur le respect de l'article 34 de la Constitution et le principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi alors même que la définition de l'article 13 conditionne le champ d'application des règles édictées et donc le fait pour un représentant
d'intérêts de devoir respecter ou non les obligations mis à sa charge, sous peine d'encourir des sanctions pénales.

Enfin, les requérants relèvent que la publicité du « montant des dépenses liées » aux actions de représentation d'intérêts, qui constitue des informations confidentielles et des données d'ordre concurrentiel pour les personnes qui interviennent auprès des pouvoirs publics pour influer leurs décisions, porte gravement atteinte au secret des affaires, principe déductible de la liberté d'entreprendre, tel que votre Conseil l'a rappelé dans sa décision no 2000-439 DC du 16 janvier 2001.
Si l'objectif de la loi est de rendre transparentes les relations entre les représentants d'intérêts
et les pouvoirs publics, cela ne peut se faire au détriment des entreprises et de la confidentialité de leurs stratégies, la publicité de telles informations n'apportant rien à l'empreinte normative qui retracera l'activité d'influence.

- S'agissant de l'article 30 imposant la publicité, par les soins de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), d'informations relatives aux emprunts souscrits par les candidats à une élection ainsi qu'à ceux souscrits et consentis par les partis et groupements politiques.
Les partis et groupements politiques seraient ainsi tenus de transmettre à la CNCCFP, en annexe de leurs comptes, « les montants et les conditions d'octroi des emprunts souscrits ou consentis par eux, ainsi que l'identité des prêteurs, les flux financiers entre partis et entre les partis et les candidats ».

Comme le rapporteur de l'Assemblée nationale l'avait déjà évoqué lors de l'adoption de cette disposition en première lecture, les Sénateurs requérants considèrent que cette disposition est contraire à l'article 4 de la Constitution en ce qu'il prévoit que les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement », sans habiliter expressément la loi à y apporter des limitations, comme en l'espèce.

- S'agissant de l'article 49 qui étend les prérogatives de surveillance macroprudentielle du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) aux organismes d'assurance et renforce ses pouvoirs de contrôle en matière d'octroi de crédit et en matière d'audition et de transmission d'information.

Comme l'a fait remarquer le rapporteur au Sénat, dans son rapport à l'occasion de la nouvelle lecture, les Sénateurs s'interrogent sur la constitutionnalité de cette disposition au regard du droit de propriété et de la liberté contractuelle.

Inspirés des mécanismes de régulation macroprudentielle bancaire, ces dispositifs visent à permettre au HCSF d'imposer aux assureurs de garder leurs fonds en réserve afin d'augmenter leur résilience, suivant le même principe que les coussins de fonds propre auxquels sont soumises les banques. Le HCSF pourra en outre suspendre, retarder ou limiter, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d'arbitrages ou le versement d'avances sur contrat pour une durée limitée. Cette dernière mesure, qui n'a pas d'équivalent dans le domaine bancaire, permet notamment d'offrir un outil de régulation au HCSF en cas de hausse brutale des taux.
Le dispositif proposé prévoit que ces mécanismes pourront être activés sur proposition du
gouverneur de la Banque de France, président de I'ACPR, après avis du collège de supervision de cette Autorité, « afin de préserver la stabilité du système financier ou de prévenir des risques qui représentent une menace grave pour la situation financière de l'ensemble de ces personne ou d'une partie significative d'entre elles ». Il est en outre prévu que le HCSF décide de ces mesures pour une période déterminée.

Malgré ces précautions procédurales prévues, et le fait qu'elles soient conçues comme exceptionnelles, les mesures conservatoires proposées appellent toutefois une prudence particulière, eu égard, notamment, à leur conformité avec le droit de propriété. En effet, votre Conseil a récemment retenu ce motif pour invalider une partie de l'article L. 612-33 du code monétaire et financier portant sur le transfert d'office du portefeuille d'un organisme d'assurance 4 qui avait été introduite par ordonnance en 2010, tout comme l'ensemble des dispositions reprises de cet article pour être instituées au niveau macroprudentiel. Ainsi, si l'intérêt général commande au législateur de prévoir des mesures conservatoires visant à garantir la stabilité financière, ce dernier doit s'assurer de leur proportionnalité et de leur compatibilité avec la Constitution, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce.

De plus, s'agissant du droit de suspendre, retarder ou limiter le paiement des valeurs de rachat des assurances vie, la question du respect du principe constitutionnel de liberté contractuelle se pose également. La plupart des contrats mentionnant expressément la possibilité de rachat, la mesure visée risque, en effet, de porter atteinte à l'économie des contrats en cours. Elle pourrait avoir des conséquences sérieuses sur les petits épargnants qui feraient face à un besoin de liquidités et verraient leur épargne bloquée, en contradiction avec les stipulations de leurs contrats.

- S'agissant de l'article 59 visant à accroître la protection conférée aux biens d'États étrangers, en insérant dans notre droit interne les stipulations de la convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des États et des biens et en instaurant une autorisation judiciaire préalable avant la mise en œuvre de toute mesure conservatoire ou d'exécution forcée. Comme l'a rappelé le rapporteur au Sénat, dans son rapport de nouvelle lecture « ces dispositions sont contraires à la Constitution car elles portent une atteinte manifestement excessive au droit des créanciers ainsi qu'au droit d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles, tous deux garantis par la Constitution »(5)

Alors que le Gouvernement a présenté comme une transposition de la convention des Nations unies sur l'immunité juridictionnelle de 2004, les Sénateurs requérants tiennent à souligner que cette convention n'exige pas d'autorisation judiciaire préalable.
Or une autorisation judiciaire préalable, tel que prévue par le texte, n'est pas sans
conséquence. Elle semble incompatible avec la mise en œuvre de mesures d'exécution urgentes. En outre, cette obligation permettrait à l'État étranger de déplacer les biens les plus mobiles à l'instar d'un compte bancaire.
De plus, cette autorisation judiciaire préalable oblige les personnes ayant fait condamner un État par un jugement à saisir à nouveau un juge pour obtenir l'autorisation d'exécution d'une décision. En outre, la personne devra rapporter la preuve de la destination commerciale du bien. Or, selon les requérants, rapporter a priori la preuve qu'un bien est« destiné à être utilisé dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique » semble particulièrement périlleux, en particulier au regard des règles du secret bancaire imposées au juge civil.

Ces dispositions apparaissent également contraires au droit à l'exécution des décisions de justice, protégé tant par la Constitution que par la Cour européenne des droits de l'homme (6)

- S'agissant de l'article 60 destiné à faire échec aux saisies de biens d'un État étranger par des « fonds vautours ».

Cet article vise à sanctuariser les fonds destinés à l'aide au développement, et permet de protéger les États en crise financière en instaurant une autorisation préalable du juge par ordonnance avant toute mesure conservatoire ou d'exécution forcée d'une décision.
Selon les requérants, cette disposition soulève les mêmes interrogations sur la constitutionnalité du dispositif, que pour l'article 59, notamment au regard de l'obligation d'obtenir une autorisation préalable du juge pour exécuter une créance.

- S'agissant de l'article 123 qui renforce les sanctions applicables en cas de manquement aux règles relatives aux délais de paiement et prévoit en outre des délais dérogatoires en matière d'export hors de l'Union européenne. Comme l'a rappelé le rapporteur au Sénat, à l'occasion de la nouvelle lecture, les sénateurs requérants sont opposés à la dérogation aux délais de paiement, « un tel dispositif constitue une réponse inadaptée à un problème récurrent : le manque de trésorerie des entreprises, en particulier exportatrices ».

Plus particulièrement, l'augmentation des sanctions prévue est de nature à remettre en question la constitutionnalité de ces dispositions, telle qu'elle a été admise par votre ConseW. En effet, la sévérité accrue des sanctions devrait avoir pour conséquence la requalification

pénale de la procédure, puisque dans le sillage de la jurisprudence de la CEDH (8) les juridictions internes admettent que des sanctions, formellement administratives, sont en réalité de nature pénale, en considération de leur nature (objectif de répression et de dissuasion) et 1 ou de leur gravité potentielle. Ainsi, l'augmentation du montant des amendes encourues et la publication systématique de la décision de sanction confèrent à ces amendes un caractère
non plus administratif mais pénal, de par leur caractère répressif et dissuasif.

Or, le prononcé de telles sanctions administratives, mais en réalité de nature pénale, suppose que les garanties prévues en droit pénal soient respectées, à savoir, notamment, le principe de légalité des délits et des peines ou le droit à un procès équitable.

Au regard de la constance de la jurisprudence précédemment évoquée, les sénateurs requérants considèrent que cette disposition viole le principe de nécessité et de proportionnalité des peines ainsi que le principe de légalité des délits et des peines qui impose que les termes de la loi soient suffisamment clairs et précis pour écarter l'arbitraire administratif.

De plus, cette disposition crée un avantage concurrentiel et donc une situation inégale entre deux catégories d'opérateurs du commerce extérieur de la France. En créant cet avantage concurrentiel, la disposition crée une inégalité de traitement au sein d'une même catégorie d'acteurs économiques exerçant une même activité, mais également entre fournisseurs de l'export direct (payés à 60 jours maximum) et fournisseurs de l'export indirect (payés à 90 jours maximum). Ce qui constitue une rupture d'égalité au sens de la jurisprudence constante de votre Conseil.

- S'agissant de l'article 134 qui donne la possibilité à l'assemblée générale des actionnaires, dans les sociétés anonymes, de désigner, au sein du conseil d'administration, un administrateur chargé de suivre les questions d'innovation et de transformation numérique.
Selon les requérants, la portée normative de cette disposition semble incertaine, tel que l'a d'ailleurs évoqué à plusieurs reprises le rapporteur au Sénat, alors que votre Conseil distingue de manière constante les dispositions législatives dépourvues de toute normativité et dispositions législatives d'une normativité incertaine.

- S'agissant de l'article 137 instaurant l'obligation pour certaines sociétés de publier un rapport pour rendre compte de l'impôt sur les bénéfices auquel elles sont soumises pays par pays, obligation autrement appelée « reporting fiscal » public.

Cette disposition vise à imposer aux entreprises de rendre publiques des informations sur leurs activités, pays par pays, dans la perspective du contrôle de la juste répartition entre Etats de leur impôt sur les sociétés (CBCR public) alors même que ces données seront parallèlement déjà transmises à l'administration fiscale en vertu d'un autre texte adopté l'année dernière (CBCR fiscal). En effet, la France a déjà introduit l'obligation9, pour les entreprises multinationales, de procéder à une telle déclaration auprès de la seule administration fiscale française, à charge pour celle-ci de la communiquer aux administrations des autres Etats tenus à la confidentialité de ces données.

Dans le cadre du texte soumis à votre appréciation, Les informations seraient publiées pays par pays, dans tous les pays où le groupe est implanté. En Europe, l'entreprise internationale serait toutefois dispensée de publier les données relatives à un pays lorsqu'elle ne dispose que d'une entité dans ce pays. S'agissant des pays tiers, les données devraient être publiées quel que soit le nombre d'entités du groupe mais pourraient être agrégées pour les Etats tiers au sein desquels l'entreprise dispose d'un nombre d'entités limité, nombre qui sera ultérieurement fixé par décret.

Les requérants souhaitent rappeler que votre Conseil s'est opposé à la publicité du CBCR 10 au
nom du principe de la liberté d'entreprendre, qu'ils invoquent de nouveau dans le cas en l'espèce, puisque le texte rend obligatoire cette publicité pour toutes les entreprises d'un chiffre d'affaires de plus de 50 millions d'euros, sans référence à la directive européenne.

La divulgation simultanée du détail de l'activité exercée par l'entreprise dans chacun des pays, du chiffre d'affaires, du profit correspondant ainsi que du nombre de salariés permettra d'identifier les éléments fondamentaux de la stratégie commerciale et industrielle de l'entreprise, par le public certes, mais surtout par les concurrents et les autres Etats n'ayant pas mis en œuvre une telle obligation. S'agissant des seules entreprises françaises, le monde entier pourra ainsi connaître le positionnement stratégique choisi dans le pays pour la vente de ses produits ainsi que la marge réalisée par l'entreprise, la localisation des activités de l'entreprise, la politique industrielle du groupe et la situation de l'entreprise dans le pays.

De plus, selon les requérants, ce dispositif viole le principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans la mesure où l'obligation de« reporting »public conduit à faire peser sur les entreprises qui y sont soumises, non seulement une charge excessive, mais également une charge différenciée en fonction de ce que leur siège est en France ou à l'étranger ou encore en fonction de leur structure juridique ou plus précisément du nombre de leurs filiales.

- S'agissant de l'article 156 prévoyant l'élection de représentants du personnel à la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).

Dans sa décision no2016-579 du 5 octobre 2016, votre Conseil a rappelé le principe de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail ainsi que l'obligation pour le législateur de ne pas méconnaître sa propre compétence. A la lumière de cette décision, les sénateurs requérants considèrent que cet article soulève les mêmes critiques, en raison de l'incompétence négative du législateur qu'il révèle en tant qu'il ne précise pas suffisamment les règles applicables à l'élection des membres représentant les personnels de la CDC et de ses filiales au sein de la commission de surveillance.
La rédaction de cet article renvoie de façon imprécise à l'accord collectif pour fixer le
périmètre électoral et ne définit pas :
les critères essentiels de représentativité des deux membres représentants les personnels ; il ne précise pas notamment s'il faut un membre représentant le personnel de l'établissement public et un autre pour le personnel du groupe ;
les conditions dans lesquelles seront élus les deux membres représentant le personnel, les règles et modalités d'élection des représentants communs aux collaborateurs publics et privés relevant du périmètre du comité mixte d'information et de concertation.

D'autre part, la durée du mandat des membres actuels nommés de la commission de surveillance, qui est de trois ans, est fixée dans la loi. Il devrait en être de même pour les membres représentant le personnel mais ceux-ci étant « élus » et non nommés, cette durée de mandat ne leur est pas applicable, ce qui met en valeur une carence du législateur sur ce point.

- S'agissant de l'article 161 tendant à soumettre au vote de l'assemblée générale ordinaire, chaque année, l'ensemble des éléments de rémunération alloués aux dirigeants des sociétés cotées et à interdire le versement de tout élément de rémunération qui n'aurait pas été ainsi approuvé préalablement, sauf la part fixe, qui pourrait être versée dès la nomination du dirigeant.

Ce texte contrevient à maints égards au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi du fait de sa rédaction ambiguë.
Ainsi, l'article L.225-82-2 visé, qui concerne la politique de rémunération, fait référence aux membres du conseil de surveillance alors que l'article L.225-100 sur le vote ex post ne vise que le président du conseil de surveillance.
La formulation « à raison de leur mandat » ne permet pas d'appréhender les rémunérations
versées par des sociétés du groupe, ce qui risque d'entraîner une absence totale de cohérence entre les éléments de rémunération (qui doivent figurer dans le rapport de gestion et qui concernent les rémunérations et avantages reçus de la part des sociétés contrôlées ou de la société qui contrôle la société dans laquelle le mandat est exercé) et les éléments soumis au vote des actionnaires qui ne concernent que les rémunérations attribuables aux dirigeants mandataires sociaux à raison du mandat exercé dans la société.

Le texte ne prévoit pas non plus d'articulation avec les dispositions sur les engagements réglementés (indemnités de départ, clause de non concurrence ...) de sorte qu'il pourra y avoir plusieurs votes sur un même élément de rémunération sans exclure une contradiction possible des votes.

De plus, il apparaît aux requérants que le législateur ne saurait sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Or, le dispositif envisagé porte incontestablement atteinte à la sécurité juridique à laquelle le dirigeant peut légitimement prétendre, notamment du fait de la contradiction possible des votes ou du fait du pouvoir de veto de l'assemblée générale par un seul vote sur les éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération d'un dirigeant mandataire social, dont les sénateurs requérants se demandent si en cas de vote négatif la part fixe pourra continuer à être versée au dirigeant.

Enfin, les Sénateurs requérants considèrent que les articles :

36 relatif à l'aménagement de la zone d'aménagement concentrée du quartier de Polytechnique de Palaiseau,
66 supprimant la phase amiable de la procédure de traitement du surendettement lorsque le débiteur ne possède pas de bien immobilier,
82 instaurant un droit de résiliation annuelle de l'assurance-emprunteur,
126 permettant à l'Etat d'organiser et de financer des formations aux métiers nouveaux à destination des chômeurs,
135 visant à définir le principe d'innovation,
155 rendant obligatoire la mention du coût de gestion des déchets sur les factures de vente de pneumatiques ainsi que la répercussion du coût sur l'acheteur final,
158 ratifiant l'ordonnance no 2016-79 du 29 janvier 2016 relative aux gares routières, 159 permettant aux communes de faire réaliser les enquêtes de recensement par des agents assermentés d'un organisme chargé d'une mission de service public,
162 visant à corriger une erreur dans la refonte du code de la consommation,
163 prévoyant des exceptions à l'interdiction de la publicité en faveur des produits de « vapotage »,

doivent être analysés comme des cavaliers législatifs, au sens de la jurisprudence constante de votre Conseil puisqu'ils ne présentent aucun lien, même indirect avec l'objet initial du texte. En effet, votre Conseil a posé une limitation de principe au droit d'amendement en considérant que les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées doivent être en relation directe avec une disposition en discussion (11)

Pour l'ensemble de ces motifs, les Sénateurs requérants estiment que les articles visés doivent être déclarés contraires à la Constitution.
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1. Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012 (s'agissant de la fixation du traitement du Chef de l 'Etat et du Premier ministre) : (( en modifiant le traitement du Président de la République et du Premier ministre, l'article 40 de la loi déférée méconnaître et le principe de la séparation des pouvoirs ; que, par suit e, il doit être déclaré contra ire à la Constitution»
2. Décision no 89-262 DC du 7 novembre 1989.
3. Comme le rapporte François Pillet dans son rapport n° 79, en nouvelle lecture, « M. Jean-Louis Nada/, président de la HATVP, avait d'ailleurs marqué ses profondes réserves en relevant qu'une telle extension serait inédite au regard des exemples étrangers, faisant ainsi entrer brusquement dans le périmètre du répertoire plusieurs milliers de personnes, au risque de rendre tout contrôle impraticable pour la HA TVP ».
4. Décision n° 2014-449 QPC du 6février 2015.
5. Décision no 2010-607 DC du 10 juin 2010 et no 2014-455 QPC du 6 mars 2015.
6. Décisions du 24 septembre 2013, De Luca c. Italie (no 43870/04) et Pennino c. Italie (no 43892/04)
7. Décision n• 2014-690 OC du 13 mars 2014.
8. CEDH, 11juin 2009- n • 5242/04.
9. Article 233 quinquies C du code général des impôts de la loi n 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.
10. Décision n 2015-725 OC du 29 décembre 2015, Loi de finances pour 2016, cons. 33 : «les dispositions
contestées se bornent à imposer à certaines sociétés de transmettre à J'administration des informations relatives à leur implantation et des indicateurs économiques, comptables etfiscaux de leur activité ; que ces éléments, s'ils peuvent être échangés avec les États ou territoires ayant conclu un accord en ce sens avec la France, ne peuvent
être rendus publics »

11. Décision n° 2005-532 DC du 19janvier 2006, cons. 26