Première question préjudicielle à la CJUE (juillet 2013)

20/12/2022

Note bene : la présente fiche est présentée ici dans l’état de sa publication initiale, sans prise en compte des développements de jurisprudence postérieurs à sa publication.

 

Par sa décision n° 2013-314 P QPC du 4 avril 2013, le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 27 février 2013 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Jeremy F. relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article 695-46 du code de procédure pénale (CPP).

L'article 695-46 du CPP porte sur le mandat d'arrêt européen (MAE) institué par la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002. La loi du 9 mars 2004 a inséré dans le code de procédure pénale les règles relatives à ce mandat. L'article 695-46 prévoit qu'après la remise d'une personne à un autre État membre de l'Union européenne en application d'un MAE, la chambre de l'instruction statue dans un délai de trente jours, « sans recours », sur une demande aux fins soit d'étendre les effets de ce mandat à d'autres infractions, soit d'autoriser la remise de la personne à un État tiers.

Le requérant soutenait que l'absence de recours contre la décision de la chambre de l'instruction porte notamment atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.

Cette QPC s'inscrivait dans le cadre particulier de l'article 88-2 de la Constitution qui dispose : « La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne ». Par ces dispositions, le constituant a spécialement entendu lever les obstacles constitutionnels s'opposant à l'adoption des dispositions législatives découlant nécessairement de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen. Par suite, lorsqu'il est saisi de dispositions législatives relatives au MAE, il appartient au Conseil constitutionnel de contrôler la conformité à la Constitution des seules dispositions législatives qui procèdent de l'exercice, par le législateur, de la marge d'appréciation que prévoit l'article 34 du Traité sur l'Union européenne.

Dans sa décision n° 2013-314 P QPC du 4 avril 2013, le Conseil constitutionnel a relevé que la décision-cadre du 13 juin 2002 ne comporte pas de dispositions relatives à un recours contre la décision prise par l'autorité judiciaire d'extension des effets d'un MAE. La décision-cadre ne précise pas davantage si cette décision de l'autorité judiciaire est provisoire ou définitive. Le Conseil n'était ainsi pas à même de tirer les conséquences de l'article 88-2 dans la mesure où il ne peut déterminer si les dispositions de l'article 695-46 du CPP qui prévoient que la chambre de l'instruction « statue sans recours » sont une application nécessaire de l'obligation faite par la décision-cadre de prendre cette décision au plus tard trente jours après réception de la demande.

La Cour de justice de l'Union européenne est seule compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur l'interprétation des dispositions de la décision-cadre. Aussi, afin d'être en mesure d'exercer son contrôle de constitutionnalité de l'article 695-46 du CPP, le Conseil constitutionnel a-t-il saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de la question de savoir si les articles 27 et 28 de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen, doivent être interprétés comme s'opposant à ce que les États membres prévoient un recours contre la décision de l'autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, soit afin de donner son consentement pour qu'une personne soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté, pour une infraction commise avant sa remise en exécution d'un mandat d'arrêt européen, autre que celle qui a motivé sa remise, soit pour la remise d'une personne à un État membre autre que l'État membre d'exécution, en vertu d'un mandat d'arrêt européen émis pour une infraction commise avant sa remise.

Par un arrêt du 30 mai 2013, la CJUE a précisé l'interprétation de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen. Elle a jugé que cette décision-cadre ne s'oppose pas à ce que les États membres prévoient un recours suspendant l'exécution de la décision de l'autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, afin de donner son consentement soit pour l'extension des effets du mandat à d'autres infractions, soit pour l'autorisation de la remise de la personne à un État tiers. La Cour a seulement posé que la décision définitive doit être adoptée dans les délais visés à l'article 17 de la décision-cadre, c'est-à-dire au plus tard dans les 90 jours.

Au regard de cette interprétation, le Conseil constitutionnel a pu déduire, dans sa décision n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013, qu'en prévoyant que la décision de la chambre de l'instruction est rendue « sans recours », le quatrième alinéa de l'article 695-46 du CPP ne découle pas nécessairement des actes pris par les institutions de l'Union européenne relatifs au mandat d'arrêt européen. Il appartenait ainsi au Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, de contrôler la conformité de cette disposition aux droits et libertés que la Constitution garantit.

Le Conseil a jugé qu'en privant les parties de la possibilité de former un recours en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction statuant sur la demande mentionnée ci-dessus, les dispositions contestées de l'article 695-46 du CPP apportent une restriction injustifiée au droit à exercer un recours juridictionnel effectif. Par suite, le Conseil a jugé les mots « sans recours » figurant au quatrième alinéa de l'article 695-46 du CPP contraires à la Constitution. Cette déclaration d'inconstitutionnalité, qui prend effet à compter de la publication de la décision du Conseil, est applicable à tous les pourvois en cassation en cours à cette date.

La décision du 4 avril 2013 de renvoi d'une question préjudicielle à la CJUE ne modifie pas l'état du droit et la primauté de la Constitution dans l'ordre interne (n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004). C'est pour exercer son contrôle de conformité de la loi à la Constitution que le Conseil constitutionnel a saisi la CJUE. Celle-ci est en effet compétente pour fixer l'interprétation du droit de l'Union et le Conseil n'avait pas à se substituer à elle en ce domaine. De même, cette décision ne revient pas sur l'office du juge constitutionnel distinct de l'office du juge administratif ou judiciaire qui est juge conventionnel. Cette distinction issue de la jurisprudence dite IVG (n° 74-54 DC du 15 janvier 1975) a été reprise par le Parlement lors de la réforme de la question prioritaire de constitutionnalité.

Avec la décision n° 2013-314 QPC du 4 avril 2013 (M. Jeremy F.), le Conseil constitutionnel a donné une preuve supplémentaire de sa volonté de dialogue des juges en saisissant la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre de son office de juge constitutionnel, d'une première question préjudicielle. Ce dialogue est aujourd'hui mutuellement fécond comme l'a montré la jurisprudence dite économie numérique (n° 2004-496 DC du 10 juin 2004) ou la décision Melki de la CJUE du 10 juin 2010 jugeant la QPC conforme au droit de l'Union dans les mêmes conditions que celles énoncées par le Conseil constitutionnel (n° 2010-605 DC du 12 mai 2010).