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La Constitution organise-t-elle l’alternance ?

L’alternance peut se définir comme le remplacement de la majorité au pouvoir par l’opposition à la suite de l’élection du Président de la République ou de celle des députés. Ce changement peut ou non être à l’origine d’une période de cohabitation. Deux illustrations peuvent être citées :

  • en 1981, et pour la première fois, la gauche remporte l’élection présidentielle et les élections législatives. C’est la première alternance sous la Ve République, qui pérennise ainsi une conjoncture politique marquée par la concordance des majorités présidentielle et parlementaire.
  • en 1986, en 1993 et en 1997, les élections législatives conduisent à la victoire d’une majorité de députés politiquement opposée au Président de la République en exercice. C’est la cohabitation, parfois qualifiée par la doctrine, de « petite alternance » (Marie-Christine STECKEL), de « semi-alternance » (Olivier DUHAMEL) ou d’« alternance incomplète » (Yves DAUDET et Charles DEBBASCH).

À la différence de certaines constitutions étrangères (par exemple, le Préambule de la Constitution de la République algérienne démocratique et populaire prévoit que « la Constitution (…) est la loi fondamentale qui (…) consacre l’alternance démocratique par la voie d’élections libres et régulières »), la Constitution française ne prévoit pas l’alternance en tant que telle ; elle l’encourage. Elle l’encourage par exemple en :

  • confiant au Parlement le soin de « garantir les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » (art. 4, al. 3, de la Constitution). En effet, l’alternance ne peut s’exprimer que dans le contexte d’une démocratie pluraliste.
  • prévoyant la tenue des élections présidentielle et législatives au suffrage universel direct à intervalles réguliers et sous le contrôle du Conseil constitutionnel. La Constitution offre ainsi aux électeurs le moyen de choisir l’alternance (cf. les art. 6, 24, 25, 58 et 59 de la Constitution).
  • limitant le nombre de mandats consécutifs du chef de l’État (art. 6, al. 2, de la Constitution).
  • reconnaissant des droits spécifiques aux groupes d’opposition des assemblées parlementaires ainsi qu’aux groupes minoritaires (art. 51-1 de la Constitution). Ainsi l’opposition peut-elle créer les conditions favorables en vue d’une future alternance en se présentant comme une alternative crédible.
  • raison de sa « neutralité idéologique » (Denys de BÉCHILLON). En particulier, au sein du « bloc de constitutionnalité », c’est-à-dire des normes de valeur constitutionnelle, coexistent des droits et libertés d’inspiration différente, soit des « droits-libertés » issus de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et des « droits-créances » consacrés par le Préambule de la Constitution de 1946 (cf. les fiches La Déclaration de 1789 et Le Préambule de 1946).
  • permettant au Conseil constitutionnel de contrôler la constitutionnalité des lois adoptées par la nouvelle majorité (art. 61 et 61-1 de la Constitution). En saisissant la politique par le droit (expression empruntée au Doyen Louis FAVOREU), le juge constitutionnel contribue « incontestablement, en montrant que la nouvelle majorité se t(ient) dans les limites prévues par la Constitution, à faire accepter le changement en lui délivrant un certificat de conformité à la Constitution et en apportant ainsi sa caution juridique aux mesures adoptées » (Louis FAVOREU).