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La cohabitation était-elle prévue à l’origine de la Constitution ?

La cohabitation, c’est-à-dire la conjoncture politique dans laquelle le Président de la République et la majorité des députés sont de tendances politiques opposées, n’était pas prévue par les constituants de 1958. En ce sens, elle constitue un « vide constitutionnel » correspondant « à ce que le constituant de 1958 ne pouvait ni prévoir ni empêcher et qui s’est manifesté de façon extérieure » (Emmanuel CARTIER).

Toutefois, imprévue à l’origine de la Ve République, la cohabitation n’a pas été un « impensé » du droit constitutionnel. En particulier, dans un article intitulé « Les deux tentations » paru dans Le Monde du 16 septembre 1983, Édouard BALLADUR, qui fut secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de Georges POMPIDOU, envisage très clairement la cohabitation qu’il qualifie d’« épreuve de vérité » pour les institutions : « Les responsables politiques auront le choix entre deux attitudes : ou bien rechercher l’affrontement, la majorité nouvelle tentant de paralyser le Président, le Président refusant de tenir compte dans la composition du Gouvernement de l’existence d’une majorité nouvelle ; ou bien tenter la cohabitation, ce qui suppose que chacun accepte d’être quelque peu empêché dans la liberté de ses mouvements et de ses choix, de ne pas appliquer tout de suite tous ses projets. (…) Ainsi la Constitution de 1958 démontrerait-elle son ambivalence et sa faculté d’adaptation : quasi-présidentielle, et même davantage, quand le Président dispose d’une majorité à l’Assemblée, plus parlementaire quand ce n’est pas le cas. En pareille hypothèse, le Premier ministre, charnière entre le Parlement et le Président, verrait son rôle s’affirmer ».

Pour la première fois, l’« épreuve » de la cohabitation apparaît en 1986 lorsqu’à l’occasion des élections législatives du mois de mars est élue une majorité de droite. Pour répondre aux interrogations relatives à cette conjoncture politique inédite, le Président de la République, François MITTERRAND, adresse au Parlement un message le 8 avril 1986 dans lequel il livre une sorte de « mode d’emploi » de la cohabitation : « Pour la première fois la majorité parlementaire relève de tendances politiques différentes de celles qui s’étaient rassemblées lors de l’élection présidentielle, ce que la composition du Gouvernement exprime, comme il se doit.
« Devant un tel état de choses, qu’ils ont pourtant voulu, beaucoup de nos concitoyens se posent la question de savoir comment fonctionneront les pouvoirs publics. À cette question, je ne connais qu’une réponse, la seule possible, la seule raisonnable, la seule conforme aux intérêts de la nation : la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution. (…)
« Je rappellerai seulement que la Constitution attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause.
« Fonctionnement régulier des pouvoirs publics, continuité de l’État, indépendance nationale, intégrité du territoire, respect des traités, l’article 5 désigne de la sorte – et les dispositions qui en découlent précisent – les domaines où s’exercent son autorité ou bien son arbitrage. À quoi s’ajoute l’obligation pour lui de garantir l’indépendance de la justice et de veiller aux droits et libertés définis par la Déclaration de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946.
« Le Gouvernement, de son côté, a pour charge, aux termes de l’article 20, de déterminer et de conduire la politique de la nation. Il assume, sous réserve des prérogatives du Président de la République et de la confiance de l’Assemblée, la mise en œuvre des décisions qui l’engagent devant les Français. Cette responsabilité est la sienne.
« Cela étant clairement établi, Président et Gouvernement ont à rechercher, en toutes circonstances, les moyens qui leur permettront de servir au mieux et d’un commun accord les grands intérêts du pays ».