Décision n° 2024-1101 QPC du 12 septembre 2024
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 juin 2024 par le Conseil d’État (décision n° 490409 du 10 juin 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le Conseil national de l’ordre des médecins par la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1101 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique ;
- la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, enregistrées le 24 juin 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, enregistrées le 5 juillet 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
M. François Séners ayant estimé devoir s’abstenir de siéger ;
Après avoir entendu Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 10 juillet 2024 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 11 juillet 2024 ;
- la note en délibéré présentée pour le requérant par la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, enregistrée le 18 juillet 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe III de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 25 novembre 2021 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe III de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique, dans cette rédaction, prévoit : « Tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 peut accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé de celle-ci et l’alimenter. L’alimentation ultérieure de son dossier médical partagé par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge ».
3. Le requérant reproche à ces dispositions de permettre à des professionnels qui ne relèvent pas de la catégorie des professionnels de santé et ne sont pas soumis aux mêmes règles déontologiques d’accéder au dossier médical partagé d’un patient, sans conditionner cet accès à un consentement libre et éclairé de la personne intéressée, ni prévoir de garanties suffisantes concernant le type de données accessibles. Ces dispositions méconnaîtraient ainsi le droit au respect de la vie privée et seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ce même droit.
4. La liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités. Il appartient toutefois au législateur de concilier le droit au respect de la vie privée et les exigences de valeur constitutionnelle qui s’attachent à la protection de la santé.
5. En application de l’article L. 1111-13-1 du code de la santé publique, chaque personne dispose, sauf si elle s’y oppose, d’un espace numérique de santé.
6. Selon les articles L. 1111-14 et L. 1111-15 du même code, l’ouverture de l’espace numérique de santé emporte la création automatique d’un dossier médical partagé dans lequel les professionnels de santé reportent notamment, à l’occasion de chaque acte ou consultation, les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge.
7. Les dispositions contestées de l’article L. 1111-17 du même code autorisent certains professionnels participant à la prise en charge d’une personne à accéder à son dossier médical partagé et à l’alimenter.
8. En premier lieu, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 7 décembre 2020 mentionnée ci-dessus dont sont issues les dispositions contestées que, en ouvrant la possibilité d’accéder à certaines informations d’un dossier médical partagé aux professionnels qui participent à la prise en charge d’une personne, le législateur a entendu améliorer la coordination des soins. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
9. En deuxième lieu, les dispositions contestées n’autorisent l’accès au dossier médical partagé qu’à des professionnels participant à la prise en charge d’une personne « en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 ».
10. Ainsi, d’une part, l’accès aux informations du dossier médical partagé de la personne est limité à celles strictement nécessaires à sa prise en charge par chaque professionnel concerné.
11. D’autre part, dans le cadre de la prise en charge d’une personne par une équipe de soins, cet accès n’est ouvert qu’à des professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes.
12. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes des dispositions contestées qu’un professionnel ne peut accéder au dossier médical partagé que « sous réserve du consentement de la personne préalablement informée ».
13. Ainsi, demeurent applicables à l’accès au dossier médical partagé les garanties prévues à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique relatives à l’échange et au partage d’informations médicales par tout professionnel et aux conditions selon lesquelles le consentement de la personne intéressée doit être recueilli.
14. À ce titre, lorsque le professionnel est membre d’une équipe de soins, l’accès au dossier médical partagé auquel consent la personne intéressée vaut pour l’ensemble des professionnels membres de cette équipe, dans les conditions prévues au premier alinéa du paragraphe III de l’article L. 1110-4. Dans le cas où le professionnel ne fait pas partie de l’équipe de soins, ce consentement doit préalablement être recueilli par tout moyen, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de ce même paragraphe III.
15. En outre, en application des articles L. 1111-13-1, L. 1111-15 et L. 1111-19 du code de la santé publique, chaque patient peut, à tout moment, clôturer son dossier médical partagé, rendre certaines de ses informations inaccessibles ou modifier la liste des professionnels disposant d’un accès à ce dernier.
16. En dernier lieu, le fait pour un professionnel d’accéder au dossier médical partagé d’une personne ou de révéler une information en méconnaissance du secret médical est susceptible de donner lieu à l’application des peines prévues au paragraphe V de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique et à l’article 226-13 du code pénal.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.
18. Par conséquent, ces dispositions, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le paragraphe III de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 septembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 12 septembre 2024.
JORF n°0218 du 13 septembre 2024, texte n° 26
ECLI : FR : CC : 2024 : 2024.1101.QPC