Décision n° 2023-6286 SEN du 21 mars 2024
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 octobre 2023 d’une requête présentée pour M. Thierry MASSON, candidat à l’élection qui s’est déroulée le 24 septembre 2023, dans la circonscription des Français établis hors de France, par Me Philippe Azouaou, avocat au barreau de Paris, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription en vue de la désignation de six sénateurs. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-6286 SEN.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France ;
- le décret n° 2014-290 du 4 mars 2014 portant dispositions électorales relatives à la représentation des Français établis hors de France ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
- le mémoire en défense présenté par Mme Sophie SUBERVILLE, enregistré le 2 novembre 2023 ;
- les mémoires en défense présentés pour Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN et M. Jean-Luc RUELLE, sénateurs, par Me Stéphane Penaud, avocat au barreau de Paris, enregistrés le 15 novembre et le 22 décembre 2023 ;
- les mémoires en défense présentés pour Mme Hélène CONWAY-MOURET et Mme Mathilde OLLIVIER, sénatrices, par Me Gilles Le Chatelier, avocat au barreau de Lyon, enregistrés le 16 novembre 2023 et le 2 janvier 2024 ;
- les mémoires en défense présentés par Mme Olivia RICHARD, sénatrice, enregistrés le 17 novembre 2023 et le 3 janvier 2024 ;
- les observations présentées par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, enregistrées le 17 novembre 2023 ;
- le mémoire en réplique présenté pour M. MASSON par Me Azouaou, enregistré le 19 décembre 2023 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- Sur les griefs relatifs à l’existence de manœuvres de nature à altérer la sincérité du scrutin :
1. Il appartient au juge de l’élection de vérifier si des manœuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l’investiture des candidats par les partis politiques.
2. Le requérant soutient que Mme SUBERVILLE a tenté de tromper les électeurs quant au soutien que lui auraient apporté le Président de la République et le parti Renaissance, alors que seule la liste qu’il conduisait était officiellement soutenue par ce parti. Il fait à cet égard valoir que la liste conduite par Mme SUBERVILLE a initialement été intitulée « Démocrates et Progressistes, Ensemble ! », alors que le terme « ensemble » était utilisé par M. MACRON sur ses affiches électorales entre les deux tours de l’élection présidentielle en 2017, que Mme SUBERVILLE aurait mis en avant son appartenance ainsi que celle de certains de ses colistiers aux partis Renaissance et Territoires de progrès alors que ces deux partis ne la soutenaient pas, et qu’un communiqué des élus de la majorité présidentielle en Amérique du Nord appelant à voter pour la liste de Mme SUBERVILLE laisserait à penser que tous les élus de la majorité présidentielle de cette région la soutenaient alors qu’il ne s’agissait que d’une partie d’entre eux. Il invoque également la publication, le 12 août 2023, sur les réseaux sociaux de la liste conduite par Mme SUBERVILLE, d’un message du ministre délégué chargé des Français de l’étranger, portant sur le budget des bourses scolaires pour le réseau d’enseignement français à l’étranger, qui laisserait penser que ce ministre et à travers lui le Gouvernement soutiendraient la liste de Mme SUBERVILLE, ainsi que la publication par cette dernière, durant la matinée du 16 septembre 2023 correspondant à la date du vote anticipé dans les postes diplomatiques et consulaires, d’une photo la représentant serrant la main du Président de la République, accompagnée du message « Aux urnes ! », qui laisserait penser que ce dernier soutiendrait sa candidature.
3. Le requérant estime que, eu égard au faible nombre de voix ayant manqué à sa liste pour l’obtention d’un siège, ces faits constitutifs d’une manœuvre ont créé une confusion dans l’esprit des électeurs et altéré la sincérité du scrutin.
4. Toutefois, la question de l’investiture et des soutiens politiques des listes conduites par M. MASSON et Mme SUBERVILLE, la première étant soutenue par le parti Renaissance et la seconde par le Mouvement démocrate, formations appartenant toutes deux à la majorité présidentielle, a fait l’objet d’un large débat public durant toute la campagne, relayé notamment par la presse destinée aux Français résidant hors de France. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu de la connaissance que les membres du collège électoral, en nombre réduit et eux-mêmes élus, avaient de la situation des listes conduites par M. MASSON et Mme SUBERVILLE, les faits dénoncés ne sont pas susceptibles d’avoir créé dans l’esprit des électeurs une confusion telle que les résultats du scrutin en aient été affectés.
- Sur les griefs relatifs aux conditions dans lesquelles certains électeurs ont été contraints de voter par procuration :
5. En premier lieu, le requérant ne peut utilement contester, hors dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité, les dispositions législatives prévoyant la possibilité pour les membres du collège électoral chargé d’élire les sénateurs représentant les Français établis hors de France de voter par procuration.
6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les votes émis par anticipation le 16 septembre 2023 à Djibouti, Stockholm et Stuttgart par huit membres du collège électoral, en application des dispositions de l’article 51 de la loi du 22 juillet 2013 mentionnée ci-dessus, n’ont pu parvenir dans les délais requis au ministère des affaires étrangères et que, dans ces conditions, il a été proposé à ces huit électeurs de voter par procuration dans les conditions prévues par les dispositions des articles 52 et suivants du décret du 4 mars 2014 mentionné ci-dessus. Si le requérant soutient que le choix de leur mandataire, réalisé dans l’urgence et alors que nul ne peut disposer de plus d’une procuration, n’aurait pas été libre et que le respect par leur mandataire de leur choix de vote n’était pas garanti, il ne résulte pas de l’instruction que les modalités selon lesquelles ont été établies et acheminées lesdites procurations, qui se sont substituées aux votes émis par anticipation, auraient eu pour effet de modifier le sens des suffrages ainsi exprimés et ainsi altéré la sincérité du scrutin.
7. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. MASSON doit être rejetée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La requête de M. Thierry MASSON est rejetée.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 mars 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 21 mars 2024.
JORF n°0069 du 22 mars 2024, texte n° 59
ECLI : FR : CC : 2024 : 2023.6286.SEN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.4. ÉLECTIONS SÉNATORIALES
- 8.4.5. Campagne électorale - Interventions, pressions, manœuvres
- 8.4.5.3. Manœuvres
- 8.4.5.3.1. Manœuvres ou interventions relatives à la situation politique d'un candidat
8.4.5.3.1.3. Soutiens
Le requérant soutient que Mme SUBERVILLE a tenté de tromper les électeurs quant au soutien que lui auraient apporté le Président de la République et le parti Renaissance, alors que seule la liste qu’il conduisait était officiellement soutenue par ce parti. Il fait à cet égard valoir que la liste conduite par Mme SUBERVILLE a initialement été intitulée « Démocrates et Progressistes, Ensemble ! », alors que le terme « ensemble » était utilisé par M. MACRON sur ses affiches électorales entre les deux tours de l’élection présidentielle en 2017, que Mme SUBERVILLE aurait mis en avant son appartenance ainsi que celle de certains de ses colistiers aux partis Renaissance et Territoires de progrès alors que ces deux partis ne la soutenaient pas, et qu’un communiqué des élus de la majorité présidentielle en Amérique du Nord appelant à voter pour la liste de Mme SUBERVILLE laisserait à penser que tous les élus de la majorité présidentielle de cette région la soutenaient alors qu’il ne s’agissait que d’une partie d’entre eux. Il invoque également la publication, le 12 août 2023, sur les réseaux sociaux de la liste conduite par Mme SUBERVILLE, d’un message du ministre délégué chargé des Français de l’étranger, portant sur le budget des bourses scolaires pour le réseau d’enseignement français à l’étranger, qui laisserait penser que ce ministre et à travers lui le Gouvernement soutiendraient la liste de Mme SUBERVILLE, ainsi que la publication par cette dernière, durant la matinée du 16 septembre 2023 correspondant à la date du vote anticipé dans les postes diplomatiques et consulaires, d’une photo la représentant serrant la main du Président de la République, accompagnée du message « Aux urnes ! », qui laisserait penser que ce dernier soutiendrait sa candidature. Le requérant estime que, eu égard au faible nombre de voix ayant manqué à sa liste pour l’obtention d’un siège, ces faits constitutifs d’une manœuvre ont créé une confusion dans l’esprit des électeurs et altéré la sincérité du scrutin.Toutefois, la question de l’investiture et des soutiens politiques des listes conduites par M. MASSON et Mme SUBERVILLE, la première étant soutenue par le parti Renaissance et la seconde par le Mouvement démocrate, formations appartenant toutes deux à la majorité présidentielle, a fait l’objet d’un large débat public durant toute la campagne, relayé notamment par la presse destinée aux Français résidant hors de France. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu de la connaissance que les membres du collège électoral, en nombre réduit et eux-mêmes élus, avaient de la situation des listes conduites par M. MASSON et Mme SUBERVILLE, les faits dénoncés ne sont pas susceptibles d’avoir créé dans l’esprit des électeurs une confusion telle que les résultats du scrutin en aient été affectés.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.4. ÉLECTIONS SÉNATORIALES
- 8.4.6. Opérations électorales
8.4.6.4. Vote par procuration
Il ressort des pièces du dossier que les votes émis par anticipation le 16 septembre 2023 à Djibouti, Stockholm et Stuttgart par huit membres du collège électoral, en application des dispositions de l’article 51 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013, n’ont pu parvenir dans les délais requis au ministère des affaires étrangères et que, dans ces conditions, il a été proposé à ces huit électeurs de voter par procuration dans les conditions prévues par les dispositions des articles 52 et suivants du décret n° 2014-290 du 4 mars 2014. Si le requérant soutient que le choix de leur mandataire, réalisé dans l’urgence et alors que nul ne peut disposer de plus d’une procuration, n’aurait pas été libre et que le respect par leur mandataire de leur choix de vote n’était pas garanti, il ne résulte pas de l’instruction que les modalités selon lesquelles ont été établies et acheminées lesdites procurations, qui se sont substituées aux votes émis par anticipation, auraient eu pour effet de modifier le sens des suffrages ainsi exprimés et ainsi altéré la sincérité du scrutin. Rejet des griefs.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.4. ÉLECTIONS SÉNATORIALES
- 8.4.7. Contentieux - Compétence
- 8.4.7.1. Étendue de la compétence du Conseil constitutionnel
- 8.4.7.1.6. Questions n'entrant pas dans la compétence du Conseil constitutionnel
8.4.7.1.6.1. Conformité à la Constitution d'un texte législatif
Le requérant ne peut utilement contester, hors dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité, les dispositions législatives prévoyant la possibilité pour les membres du collège électoral chargé d’élire les sénateurs représentant les Français établis hors de France de voter par procuration.