Décision n° 2023-5998 AN du 7 juillet 2023
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 janvier 2023 par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (décision du 5 janvier 2023), dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral. Cette saisine est relative à la situation de M. Frédéric BARBIER DAMIETTE, candidat aux élections qui se sont déroulées les 12 et 19 juin 2022, dans la 2e circonscription du département du Lot, en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-5998 AN.
Il a également été saisi le 6 février 2023, à l’occasion de cette saisine, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. BARBIER DAMIETTE. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 12, 13 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et de l’article 4 de la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d’exception créés pour lutter contre l’épidémie liée à la covid-19.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ;
- la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19 ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs, notamment son article 16-1 ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par M. BARBIER DAMIETTE, enregistrées les 26 janvier, 2 et 6 février, 27 mai et 19 juin 2023 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
1. M. BARBIER DAMIETTE reproche aux articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 mentionnée ci-dessus et à l’article 4 de la loi du 30 juillet 2022 mentionnée ci-dessus de méconnaître « le principe de la proportionnalité et le principe du contradictoire ». Selon lui, ces dispositions, en privant des professionnels de la possibilité d’exercer leur activité au motif qu’ils n’auraient pas respecté l’obligation vaccinale qu’elles instauraient, leur causeraient un préjudice financier qui constituerait un cas de force majeure pouvant justifier l’absence de dépôt d’un compte de campagne dans les conditions prévues par l’article L. 52-12 du code électoral.
2. Selon l’article 16-1 du règlement mentionné ci-dessus, « Lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée à l’occasion d’une procédure en cours devant lui, le Conseil constitutionnel procède selon les dispositions du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité. - Le Conseil peut toutefois, par décision motivée, rejeter sans instruction contradictoire préalable les questions prioritaires de constitutionnalité qui ne réunissent pas les conditions prévues par la seconde phrase du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ».
3. Pour satisfaire aux conditions prévues par la seconde phrase du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité doit contester une disposition législative applicable au litige ou à la procédure et qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances. En outre, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.
4. Les articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 et l’article 4 de la loi du 30 juillet 2022 sont relatifs au régime de vaccination obligatoire applicable à certains professionnels, mis en œuvre dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
5. Ces dispositions sont ainsi dénuées de lien avec les règles de financement des campagnes électorales et celles fixant les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel peut prononcer l’inéligibilité d’un candidat. Elles ne sont donc pas applicables au litige. Dès lors, la question soulevée doit être rejetée.
- Sur le fond :
6. Il résulte de l’article L. 52-12 du code électoral que chaque candidat aux élections législatives soumis au plafonnement prévu à l’article L. 52-11 est tenu d’établir un compte de campagne lorsqu’il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou s’il a bénéficié de dons de personnes physiques conformément à l’article L. 52-8. Pour la période mentionnée à l’article L. 52-4 du code électoral, ce compte de campagne retrace, selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection. Il doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit. Ce compte de campagne doit être déposé à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. Il ressort également de l’article L. 52-12 que ce compte doit être présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables qui met le compte en état d’examen et s’assure de la présence des pièces justificatives requises. Cette présentation n’est pas obligatoire lorsque le candidat a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n’excèdent pas un montant fixé par décret. Dans ce cas, le candidat doit transmettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques les relevés du compte bancaire ouvert en application de l’article L. 52-5 ou de l’article L. 52-6.
7. L’article L.O. 136-1 du même code dispose que, en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12.
8. M. BARBIER DAMIETTE a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés à l’issue du scrutin dont le premier tour s’est tenu le 12 juin 2022. À l’expiration du délai prévu à l’article L. 52-12 du code électoral, il n’a pas déposé de compte de campagne alors qu’il y était tenu.
9. Si M. BARBIER DAMIETTE fait valoir que, du fait du préjudice financier qui aurait résulté de l’impossibilité d’exercer son activité en application de l’article 14 de la loi du 5 août 2021, il ne lui aurait pas été possible de s’acquitter des frais d’ouverture d’un compte bancaire, cette circonstance est sans incidence sur l’obligation de dépôt d’un compte de campagne. Dès lors, compte tenu de la particulière gravité de ce manquement, il y a lieu de prononcer l’inéligibilité de M. BARBIER DAMIETTE à tout mandat pour une durée de trois ans à compter de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La question prioritaire de constitutionnalité est rejetée.
Article 2. - M. Frédéric BARBIER DAMIETTE est déclaré inéligible en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral pour une durée de trois ans à compter de la présente décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 7 juillet 2023.
JORF n°0159 du 11 juillet 2023, texte n° 71
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.5998.AN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.5. Financement
- 8.3.5.2. Établissement d'un compte de campagne
- 8.3.5.2.1. Obligation de dépôt du compte de campagne
8.3.5.2.1.1. Absence de dépôt
Non dépôt d'un compte de campagne. Le candidat a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés et n’a pas déposé de compte de campagne alors qu’il y était tenu. S'il fait valoir que, du fait du préjudice financier qui aurait résulté de l’impossibilité d’exercer son activité en application de l’article 14 de la loi du 5 août 2021, il ne lui aurait pas été possible de s’acquitter des frais d’ouverture d’un compte bancaire, cette circonstance est sans incidence sur l’obligation de dépôt d’un compte de campagne. Dès lors, compte tenu de la particulière gravité de ce manquement, il y a lieu de prononcer l’inéligibilité du candidat à tout mandat pour une durée de trois ans à compter de la présente décision.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.7. Contentieux - Compétence
- 8.3.7.1. Étendue de la compétence du Conseil constitutionnel
8.3.7.1.4. Question prioritaire de constitutionnalité
Rejet, sans instruction contradictoire préalable, pour défaut d'applicabilité au litige de la disposition contestée, d'une question prioritaire de constitutionnalité, posée à l'occasion du recours contre l'élection d'un député. Pour satisfaire aux conditions prévues par la seconde phrase du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité doit contester une disposition législative applicable au litige ou à la procédure et qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances. En outre, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux. Les articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 et l’article 4 de la loi du 30 juillet 2022 sont relatifs au régime de vaccination obligatoire applicable à certains professionnels, mis en œuvre dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Ces dispositions sont ainsi dénuées de lien avec les règles de financement des campagnes électorales et celles fixant les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel peut prononcer l’inéligibilité d’un candidat. Elles ne sont donc pas applicables au litige. Dès lors, la question soulevée doit être rejetée.