Décision

Décision n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023

M. Jamal L. [Conditions de délivrance de la carte de résident permanent]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 février 2023 par le Conseil d’État (décision n° 468561 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jamal L. par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1048 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
  • l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 21 mars 2023 ;
  • les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
  • les observations en intervention présentées pour l’association SOS Soutien ô sans papiers par Me Henri Braun, avocat au barreau de Paris, et Me Baptiste Hervieux, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis, enregistrées le même jour ;
  • les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 4 avril 2023 ;
  • les secondes observations présentées pour l’association intervenante par Mes Braun et Hervieux, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Isabelle Zribi, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Braun, pour l’association intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 18 avril 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 16 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« La délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident, sous réserve des mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa ».
 

2. Le requérant reproche à ces dispositions de prévoir qu’un ressortissant étranger peut se voir refuser la délivrance d’une carte de résident permanent au motif que sa présence constituerait une simple menace pour l’ordre public, alors même qu’il réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. Ce faisant, ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile aux mots « menace pour l’ordre public » figurant au premier alinéa du même article.

4. L’association intervenante soulève les mêmes griefs que le requérant et fait valoir, pour les mêmes motifs, que les dispositions contestées méconnaîtraient également le « droit des ressortissants étrangers au séjour » qu’elle demande au Conseil constitutionnel de reconnaître.

5. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. À cet égard, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques.

6. Le premier alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que les titulaires d’une carte de résident de dix ans, qui en font la demande, peuvent, à son expiration, se voir délivrer une carte de résident permanent, à durée indéterminée, à condition que leur présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’ils satisfassent à la condition d’intégration républicaine prévue à l’article L. 413-7 du même code.

7. Le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du même code prévoit que la délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident. Selon les dispositions contestées, elle peut toutefois être refusée si la présence de la personne étrangère constitue une menace pour l’ordre public.

8. En premier lieu, en subordonnant à une telle condition la délivrance d’une carte de résident permanent, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

9. En second lieu, si la délivrance d’une carte de résident permanent peut être refusée à une personne étrangère établie régulièrement en France depuis plus de vingt ans et titulaire d’une carte de résident au motif que sa présence constitue une menace pour l’ordre public, cette seule circonstance est sans incidence sur le droit au séjour dont elle bénéficie. En effet, le renouvellement de sa carte de résident de dix ans est de droit sous réserve qu’elle n’ait pas quitté le territoire français depuis plus de trois ans, qu’elle ne se trouve pas en situation de polygamie et qu’elle n’ait pas été condamnée pour violences sur mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

10. Dès lors, les dispositions contestées ne procèdent pas à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.

11. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, aux mots « menace pour l’ordre public » figurant au premier alinéa du même article, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 4 mai 2023.
 

JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 65
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.1048.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.5. DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE (voir également ci-dessous Droits des étrangers et droit d'asile, Liberté individuelle et Liberté personnelle)
  • 4.5.8. Situation des étrangers (voir également ci-dessous Droit des étrangers et droit d'asile)

Le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions conditionnant la délivrance de droit d'une carte de résident permanent au respect d'une clause d'ordre public. Le premier alinéa de l’article L. 426–4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que les titulaires d’une carte de résident de dix ans, qui en font la demande, peuvent, à son expiration, se voir délivrer une carte de résident permanent, à durée indéterminée, à condition que leur présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’ils satisfassent à la condition d’intégration républicaine prévue à l’article L. 413-7 du même code. Le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du même code prévoit que la délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident. Selon les dispositions contestées, elle peut toutefois être refusée si la présence de la personne étrangère constitue une menace pour l’ordre public.
En premier lieu, en subordonnant à une telle condition la délivrance d’une carte de résident permanent, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. En second lieu, si la délivrance d’une carte de résident permanent peut être refusée à une personne étrangère établie régulièrement en France depuis plus de vingt ans et titulaire d’une carte de résident au motif que sa présence constitue une menace pour l’ordre public, cette seule circonstance est sans incidence sur le droit au séjour dont elle bénéficie. En effet, le renouvellement de sa carte de résident de dix ans est de droit sous réserve qu’elle n’ait pas quitté le territoire français depuis plus de trois ans, qu’elle ne se trouve pas en situation de polygamie et qu’elle n’ait pas été condamnée pour violences sur mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. Dès lors, les dispositions contestées ne procèdent pas à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.

(2023-1048 QPC, 04 mai 2023, cons. 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 65)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.12. DROIT DES ÉTRANGERS ET DROIT D'ASILE
  • 4.12.1. Absence de droit de caractère " général et absolu "

Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. À cet égard, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques.

(2023-1048 QPC, 04 mai 2023, cons. 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 65)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.12. DROIT DES ÉTRANGERS ET DROIT D'ASILE
  • 4.12.3. Séjour en France
  • 4.12.3.4. Carte de résident

Le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions conditionnant la délivrance de droit d'une carte de résident permanent au respect d'une clause d'ordre public.Le premier alinéa de l’article L. 426–4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que les titulaires d’une carte de résident de dix ans, qui en font la demande, peuvent, à son expiration, se voir délivrer une carte de résident permanent, à durée indéterminée, à condition que leur présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’ils satisfassent à la condition d’intégration républicaine prévue à l’article L. 413-7 du même code. Le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du même code prévoit que la délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident. Selon les dispositions contestées, elle peut toutefois être refusée si la présence de la personne étrangère constitue une menace pour l’ordre public.
En premier lieu, en subordonnant à une telle condition la délivrance d’une carte de résident permanent, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. En second lieu, si la délivrance d’une carte de résident permanent peut être refusée à une personne étrangère établie régulièrement en France depuis plus de vingt ans et titulaire d’une carte de résident au motif que sa présence constitue une menace pour l’ordre public, cette seule circonstance est sans incidence sur le droit au séjour dont elle bénéficie. En effet, le renouvellement de sa carte de résident de dix ans est de droit sous réserve qu’elle n’ait pas quitté le territoire français depuis plus de trois ans, qu’elle ne se trouve pas en situation de polygamie et qu’elle n’ait pas été condamnée pour violences sur mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. Dès lors, les dispositions contestées ne procèdent pas à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.

(2023-1048 QPC, 04 mai 2023, cons. 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 65)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que les dispositions renvoyées.

(2023-1048 QPC, 04 mai 2023, cons. 3, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 65)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi CE, Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
Toutes les décisions