Décision

Décision n° 2023-1047 QPC du 4 mai 2023

M. Alexandre G. [Compétence de la juridiction correctionnelle d’appel pour statuer sur une demande de mise en liberté formée en cas de pourvoi en cassation]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 février 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 359 du 21 février 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Alexandre G. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1047 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ;

- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 17 mars 2023 ;

- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 3 avril 2023 ;

- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 18 avril 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus.

2. Le troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :
« En cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond. Si le pourvoi a été formé contre un arrêt de la cour d’assises, il est statué sur la détention par la chambre de l’instruction ».
 

3. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas interdire aux magistrats de la chambre correctionnelle de la cour d’appel ayant prononcé la condamnation d’un prévenu à une peine d’emprisonnement, assortie d’un mandat de dépôt, de statuer ultérieurement sur sa demande de mise en liberté dans le cas où un pourvoi est formé contre l’arrêt qu’ils ont rendu. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale.

5. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles.

6. En application de l’article 148-1 du code de procédure pénale, le prévenu qui est placé ou maintenu en détention provisoire peut demander sa mise en liberté en toute période de la procédure. Les dispositions contestées prévoient qu’en cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond.

7. Il s’ensuit que, dans le cas où un prévenu est détenu à la suite de sa condamnation par la chambre correctionnelle de la cour d’appel à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt et où un pourvoi a été formé contre cet arrêt, sa demande de mise en liberté est examinée par cette juridiction.

8. Il résulte de l’article 465 du code de procédure pénale que, lorsque la chambre des appels correctionnels déclare le prévenu coupable des faits et le condamne à une peine d’emprisonnement ferme, elle apprécie la nécessité de décerner à son encontre un mandat de dépôt au regard des éléments de l’espèce justifiant, au moment où elle se prononce, une mesure particulière de sûreté.

9. En revanche, lorsque la juridiction est ensuite saisie d’une demande de mise en liberté, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’objet de sa saisine est limité à la seule question de la nécessité de maintenir le prévenu en détention provisoire.

10. D’une part, la juridiction apprécie seulement si, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, le maintien en détention du prévenu constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs visés à l’article 144 du code de procédure pénale et que ceux-ci ne sauraient être atteints par son placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique.

11. D’autre part, pour apprécier si le maintien en détention se justifie toujours, la juridiction saisie d’une demande de mise en liberté formée postérieurement à l’arrêt de condamnation prend en compte les éléments de droit et de fait au jour où elle statue.

12. Dès lors, il ne saurait être considéré qu’un magistrat statuant sur une telle demande de mise en liberté aurait préjugé de la nécessité de maintenir le prévenu en détention au seul motif qu’il a siégé au sein de la formation de jugement l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt.

13. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité doit donc être écarté.

14. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - La première phrase du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 4 mai 2023.
 

JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 64
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.1047.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.8. Impartialité dans l'exercice de fonctions juridictionnelles

En application de l’article 148-1 du code de procédure pénale, le prévenu qui est placé ou maintenu en détention provisoire peut demander sa mise en liberté en toute période de la procédure. Les dispositions contestées prévoient qu’en cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond. Il s’ensuit que, dans le cas où un prévenu est détenu à la suite de sa condamnation par la chambre correctionnelle de la cour d’appel à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt et où un pourvoi a été formé contre cet arrêt, sa demande de mise en liberté est examinée par cette juridiction. Il résulte de l’article 465 du code de procédure pénale que, lorsque la chambre des appels correctionnels déclare le prévenu coupable des faits et le condamne à une peine d’emprisonnement ferme, elle apprécie la nécessité de décerner à son encontre un mandat de dépôt au regard des éléments de l’espèce justifiant, au moment où elle se prononce, une mesure particulière de sûreté. En revanche, lorsque la juridiction est ensuite saisie d’une demande de mise en liberté, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’objet de sa saisine est limité à la seule question de la nécessité de maintenir le prévenu en détention provisoire. D’une part, la juridiction apprécie seulement si, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, le maintien en détention du prévenu constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs visés à l’article 144 du code de procédure pénale et que ceux-ci ne sauraient être atteints par son placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique. D’autre part, pour apprécier si le maintien en détention se justifie toujours, la juridiction saisie d’une demande de mise en liberté formée postérieurement à l’arrêt de condamnation prend en compte les éléments de droit et de fait au jour où elle statue. Dès lors, il ne saurait être considéré qu’un magistrat statuant sur une telle demande de mise en liberté aurait préjugé de la nécessité de maintenir le prévenu en détention au seul motif qu’il a siégé au sein de la formation de jugement l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité.

(2023-1047 QPC, 04 mai 2023, cons. 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 64)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

(2023-1047 QPC, 04 mai 2023, cons. 4, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 64)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.2. Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La rédaction de la disposition renvoyée n'ayant pas été déterminée, le Conseil constitutionnel y procède en déterminant la rédaction applicable au litige.

(2023-1047 QPC, 04 mai 2023, cons. 1, JORF n°0105 du 5 mai 2023, texte n° 64)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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