Décision

Décision n° 2022-5813/5814 AN du 20 janvier 2023

A.N., Français établis hors de France (2ème circ.), M. Christian RODRIGUEZ et autre
Annulation

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 juin 2022 d’une requête présentée par Me Juan Branco, avocat au barreau de Paris, pour M. Christian RODRIGUEZ, candidat à l’élection qui s’est déroulée dans la 2ème circonscription des Français établis hors de France, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 4 et 18 juin 2022 en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-5813 AN.
Il a également été saisi le même jour d’une requête tendant aux mêmes fins présentée par M. Martin BIURRUN, candidat à la même élection. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-5814 AN.

Au vu des textes suivants :

- la Constitution, notamment son article 59 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code électoral ;

- l’arrêté du 16 mars 2022 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article R. 176-3 du code électoral ;

- la décision n° 2022-5813 AN / QPC du 29 juillet 2022 ;

- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;

Au vu des pièces suivantes :

- les mémoires en défense présentés pour Mme Eléonore CAROIT, députée, par Me Philippe Azouaou, avocat au barreau de Paris, enregistrés le 16 septembre 2022 ;

- les observations présentées par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, enregistrées le 19 septembre 2022 ;

- la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du 17 novembre 2022 approuvant, après réformation, le compte de campagne de Mme CAROIT ;

- les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;

Après avoir entendu les parties et leurs conseils ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les requêtes mentionnées ci-dessus sont dirigées contre la même élection. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

- Sur les griefs relatifs au vote électronique :

2. En application de l’article L. 330-13 du code électoral applicable à l’élection des députés par les Français établis hors de France, les électeurs votent dans les bureaux ouverts en application de l'article L. 330-23 du même code et « peuvent également, par dérogation à l'article L. 54, voter par correspondance (…) par voie électronique au moyen de matériels et de logiciels permettant de respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin », selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. L’article R. 176-3-7 dispose que l’identité de l’électeur votant par voie électronique est attestée par un identifiant associé à un mot de passe, créés de manière aléatoire et transmis séparément à l’électeur, au plus tard avant le début de la période de vote, par des modes d’acheminement différents. En vertu de l’article 4 de l’arrêté du 16 mars 2022 mentionné ci-dessus, cette transmission à l’électeur de l’identifiant s’opère par courrier électronique et celle du mot de passe par message texte sur son téléphone mobile, respectivement à l’adresse courriel et au numéro de téléphone communiqués à cette fin. Enfin, en vertu de l’article R. 176-3-9 du code électoral, « pour voter par voie électronique, l'électeur, après s'être connecté au système de vote et identifié à l'aide de l'identifiant et du mot de passe prévus à l'article R. 176-3-7, exprime puis valide son vote au moyen d'un code de confirmation ». Ce code de confirmation lui est, conformément à l’article 4 de l’arrêté du 16 mars 2022, communiqué par voie électronique, à la même adresse électronique que celle utilisée pour la transmission de l’identifiant.

3. Les requérants soutiennent que des dysfonctionnements dans l’organisation des opérations de vote par voie électronique, en particulier dans la délivrance par les opérateurs de téléphonie des messages contenant les mots de passe, ont empêché un nombre significatif d’électeurs de prendre part au vote et porté atteinte à la sincérité du scrutin.

4. Il résulte du procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au premier tour du scrutin que, à l’ouverture de la période de vote, seuls 11 % des messages téléphoniques contenant les mots de passe prévus par l’article R. 176-3-9 du code électoral et adressés aux électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires en Argentine avaient été effectivement délivrés aux électeurs. Ce taux n’a atteint que 38 % à l’issue du premier tour, selon le procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au second tour.

5. Si les électeurs concernés conservaient le droit de prendre part au vote à l’urne en se déplaçant physiquement à l’un des bureaux de vote ouverts dans la 2ème circonscription, ce dysfonctionnement a néanmoins été de nature, eu égard aux caractéristiques de la circonscription, à empêcher plusieurs milliers d’électeurs de prendre part au vote au premier tour. Cette circonstance doit être regardée, compte tenu de l’écart des voix entre les candidats, comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin.

6. Alors même que cette circonstance n’est imputable ni à la candidate élue ni aux autres candidats, il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs soulevés par les requêtes, qu’il y a lieu d’annuler les opérations électorales contestées.

- Sur les conclusions de M. BIURRUN tendant au remboursement de ses dépenses de campagne :

7. Les conclusions de M. BIURRUN tendant au remboursement de ses dépenses de campagne ne sont pas recevables devant le Conseil constitutionnel, lequel ne peut, selon l'article 33 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, être valablement saisi, par un électeur ou un candidat, de contestations autres que celles dirigées contre l'élection d'un député dans une circonscription déterminée.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
 
Article 1er. - Les opérations électorales qui se sont déroulées les 4 et 18 juin 2022 dans la 2ème circonscription des Français établis à l’étranger sont annulées.
 
Article 2. - Les conclusions de M. Martin BIURRUN tendant au remboursement de ses dépenses de campagne sont rejetées.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.
 
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 janvier 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président,  Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 20 janvier 2023.
 

JORF n°0020 du 24 janvier 2023, texte n° 46
ECLI : FR : CC : 2023 : 2022.5813.AN

Les abstracts

  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.6. Opérations électorales
  • 8.3.6.7. Vote électronique dans les circonscriptions des Français établis hors de France

En application de l’article L. 330-13 du code électoral applicable à l’élection des députés par les Français établis hors de France, les électeurs votent dans les bureaux ouverts en application de l'article L. 330–23 du même code et « peuvent également, par dérogation à l'article L. 54, voter par correspondance (…) par voie électronique au moyen de matériels et de logiciels permettant de respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin », selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. L’article R. 176-3-7 dispose que l’identité de l’électeur votant par voie électronique est attestée par un identifiant associé à un mot de passe, créés de manière aléatoire et transmis séparément à l’électeur, au plus tard avant le début de la période de vote, par des modes d’acheminement différents. En vertu des dispositions réglementaires applicables, cette transmission à l’électeur de l’identifiant s’opère par courrier électronique et celle du mot de passe par message texte sur son téléphone mobile, respectivement à l’adresse courriel et au numéro de téléphone communiqués à cette fin. Enfin, en vertu de l’article R. 176-3-9 du code électoral, « pour voter par voie électronique, l'électeur, après s'être connecté au système de vote et identifié à l'aide de l'identifiant et du mot de passe prévus à l'article R. 176-3-7, exprime puis valide son vote au moyen d'un code de confirmation ». Ce code de confirmation lui est communiqué par voie électronique, à la même adresse électronique que celle utilisée pour la transmission de l’identifiant.
Il résulte du procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au premier tour du scrutin que, à l’ouverture de la période de vote, seuls 11 % des messages téléphoniques contenant les mots de passe prévus par l’article R. 176-3-9 du code électoral et adressés aux électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires en Argentine avaient été effectivement délivrés aux électeurs. Ce taux n’a atteint que 38 % à l’issue du premier tour, selon le procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au second tour.
Si les électeurs concernés conservaient le droit de prendre part au vote à l’urne en se déplaçant physiquement à l’un des bureaux de vote ouverts dans la 2ème circonscription, ce dysfonctionnement a néanmoins été de nature, eu égard aux caractéristiques de la circonscription, à empêcher plusieurs milliers d’électeurs de prendre part au vote au premier tour. Cette circonstance doit être regardée, compte tenu de l’écart des voix entre les candidats, comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin.
Alors même que cette circonstance n’est imputable ni à la candidate élue ni aux autres candidats, il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs soulevés par les requêtes, qu’il y a lieu d’annuler les opérations électorales contestées.

(2022-5813/5814 AN, 20 janvier 2023, cons. 2, 3, 4, 5, 6, JORF n°0020 du 24 janvier 2023, texte n° 46)
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
  • 8.3.8. Contentieux - Recevabilité
  • 8.3.8.1. Dépôt de la requête
  • 8.3.8.1.7. Recevabilité des conclusions
  • 8.3.8.1.7.2. Conclusions tendant au remboursement des frais de propagande liées à la contestation de l'élection

Les conclusions tendant au remboursement de ses dépenses de campagne ne sont pas recevables devant le Conseil constitutionnel, lequel ne peut, selon l'article 33 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, être valablement saisi, par un électeur ou un candidat, de contestations autres que celles dirigées contre l'élection d'un député dans une circonscription déterminée.

(2022-5813/5814 AN, 20 janvier 2023, cons. 7, JORF n°0020 du 24 janvier 2023, texte n° 46)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Références doctrinales, Version PDF de la décision.
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