Décision

Décision n° 2022-1020 QPC du 28 octobre 2022

Mme Célia C. [Accès des tiers au dossier de la procédure d’instruction dans le cadre d’une demande de restitution d’un bien saisi]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 juillet 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1122 du 27 juillet 2022), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Célia C. par Me Laurent Goldman, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1020 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa de l’article 99 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de procédure pénale ;
  • la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 19 août 2022 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Goldman, pour la requérante, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 18 octobre 2022 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le dernier alinéa de l’article 99 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit, en cas d’appel de l’ordonnance du juge d’instruction statuant sur la restitution de biens placés sous main de justice :
« Le tiers peut, au même titre que les parties, être entendu par le président de la chambre de l’instruction ou la chambre de l’instruction en ses observations, mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure ».
 

2. La requérante reproche à ces dispositions d’interdire au tiers à l’information judiciaire d’accéder au dossier de la procédure lorsqu’il conteste l’ordonnance du juge d’instruction refusant de lui restituer un bien saisi, ce qui rendrait excessivement difficile l’exercice de son recours. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un procès équitable et du principe du contradictoire garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure » figurant au dernier alinéa de l’article 99 du code de procédure pénale.

4.  Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.

5. L’article 99 du code de procédure pénale prévoit que, outre la personne mise en examen ou la partie civile, toute personne prétendant avoir droit sur un objet placé sous main de justice peut, au cours de l’information judiciaire, demander sa restitution au juge d’instruction.

6. En application des dispositions contestées, lorsqu’il fait appel de l’ordonnance du juge d’instruction rejetant sa demande de restitution, le tiers ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure.

7. En premier lieu, en application de l’article 99 du code de procédure pénale, le tiers à la procédure peut contester devant la chambre de l’instruction l’ordonnance du juge d’instruction refusant la restitution d’un objet placé sous main de justice. D’une part, ce refus ne peut être opposé que lorsque cette restitution est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, lorsque le bien saisi est l’instrument ou le produit de l’infraction, lorsque la restitution présente un danger pour les personnes ou les biens, ou lorsque la confiscation de l’objet est prévue par la loi. D’autre part, le juge d’instruction statue par ordonnance motivée. Ainsi, le tiers est mis à même de contester les motifs de la décision de refus.

8. En deuxième lieu, d’une part, à l’occasion de ce recours, le tiers a le droit d’être entendu par la chambre de l’instruction en ses observations. D’autre part, en lui interdisant d’exiger la communication de pièces relatives à la saisie, le législateur a entendu préserver le secret de l’enquête et de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789. Au demeurant, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que la chambre de l’instruction puisse, si elle le juge nécessaire pour exercer son office, communiquer au tiers appelant certaines pièces du dossier se rapportant à la saisie.

9. En dernier lieu, à l’issue de l’instruction, la restitution peut également être sollicitée en cas de non-lieu ou de renvoi devant la juridiction de jugement. Dans ce dernier cas, en application des articles 373 et 479 du code de procédure pénale, les procès-verbaux relatifs à la saisie des objets peuvent alors être communiqués aux personnes, autres que les parties, qui prétendent avoir droit sur des objets placés sous main de justice.

10. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.

11. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure » figurant au dernier alinéa de l’article 99 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 octobre 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 28 octobre 2022.
 

JORF n°0252 du 29 octobre 2022, texte n° 72
ECLI : FR : CC : 2022 : 2022.1020.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.3. Droit au recours
  • 4.2.2.3.5. Procédure pénale

L'article 99 du code de procédure pénale prévoit que, outre la personne mise en examen ou la partie civile, toute personne prétendant avoir droit sur un objet placé sous main de justice peut, au cours de l'information judiciaire, demander sa restitution au juge d'instruction. En application des dispositions contestées du dernier alinéa de cet article, lorsqu'il fait appel de l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa demande de restitution, le tiers ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure.
En premier lieu, en application de l'article 99 du code de procédure pénale, le tiers à la procédure peut contester devant la chambre de l'instruction l'ordonnance du juge d'instruction refusant la restitution d'un objet placé sous main de justice. D'une part, ce refus ne peut être opposé que lorsque cette restitution est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit de l'infraction, lorsque la restitution présente un danger pour les personnes ou les biens, ou lorsque la confiscation de l'objet est prévue par la loi. D'autre part, le juge d'instruction statue par ordonnance motivée. Ainsi, le tiers est mis à même de contester les motifs de la décision de refus.
En deuxième lieu, d'une part, à l'occasion de ce recours, le tiers a le droit d'être entendu par la chambre de l'instruction en ses observations. D'autre part, en lui interdisant d'exiger la communication de pièces relatives à la saisie, le législateur a entendu préserver le secret de l'enquête et de l'instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789. Au demeurant, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que la chambre de l'instruction puisse, si elle le juge nécessaire pour exercer son office, communiquer au tiers appelant certaines pièces du dossier se rapportant à la saisie.
En dernier lieu, à l'issue de l'instruction, la restitution peut également être sollicitée en cas de non-lieu ou de renvoi devant la juridiction de jugement. Dans ce dernier cas, en application des articles 373 et 479 du code de procédure pénale, les procès-verbaux relatifs à la saisie des objets peuvent alors être communiqués aux personnes, autres que les parties, qui prétendent avoir droit sur des objets placés sous main de justice.
(Rejet du grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789)

(2022-1020 QPC, 28 octobre 2022, cons. 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0252 du 29 octobre 2022, texte n° 72)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

(2022-1020 QPC, 28 octobre 2022, cons. 3, JORF n°0252 du 29 octobre 2022, texte n° 72)
  • 12. JURIDICTIONS ET AUTORITÉ JUDICIAIRE
  • 12.1. JURIDICTIONS ET SÉPARATION DES POUVOIRS
  • 12.1.3. Droit au recours juridictionnel
  • 12.1.3.3. Application à la procédure judiciaire

L'article 99 du code de procédure pénale prévoit que, outre la personne mise en examen ou la partie civile, toute personne prétendant avoir droit sur un objet placé sous main de justice peut, au cours de l'information judiciaire, demander sa restitution au juge d'instruction. En application des dispositions contestées du dernier alinéa de cet article, lorsqu'il fait appel de l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa demande de restitution, le tiers ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure.
En premier lieu, en application de l'article 99 du code de procédure pénale, le tiers à la procédure peut contester devant la chambre de l'instruction l'ordonnance du juge d'instruction refusant la restitution d'un objet placé sous main de justice. D'une part, ce refus ne peut être opposé que lorsque cette restitution est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit de l'infraction, lorsque la restitution présente un danger pour les personnes ou les biens, ou lorsque la confiscation de l'objet est prévue par la loi. D'autre part, le juge d'instruction statue par ordonnance motivée. Ainsi, le tiers est mis à même de contester les motifs de la décision de refus.
En deuxième lieu, d'une part, à l'occasion de ce recours, le tiers a le droit d'être entendu par la chambre de l'instruction en ses observations. D'autre part, en lui interdisant d'exiger la communication de pièces relatives à la saisie, le législateur a entendu préserver le secret de l'enquête et de l'instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789. Au demeurant, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que la chambre de l'instruction puisse, si elle le juge nécessaire pour exercer son office, communiquer au tiers appelant certaines pièces du dossier se rapportant à la saisie.
En dernier lieu, à l'issue de l'instruction, la restitution peut également être sollicitée en cas de non-lieu ou de renvoi devant la juridiction de jugement. Dans ce dernier cas, en application des articles 373 et 479 du code de procédure pénale, les procès-verbaux relatifs à la saisie des objets peuvent alors être communiqués aux personnes, autres que les parties, qui prétendent avoir droit sur des objets placés sous main de justice.
(Rejet du grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789)

(2022-1020 QPC, 28 octobre 2022, cons. 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0252 du 29 octobre 2022, texte n° 72)
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