Décision

Décision n° 2021-966 QPC du 28 janvier 2022

M. Cédric L. et autre [Exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession]
Non lieu à statuer

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 novembre 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1539 du 17 novembre 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Cédric L. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et pour la société Sogeres, par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-966 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession ;
  • la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE ;
  • le code de la commande publique ;
  • l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 7 décembre 2021 ;
  • les observations présentées pour la société requérante par Me Claire Waquet, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 décembre 2021 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
  • les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 22 décembre 2021 ;
  • les secondes observations présentées pour la société requérante par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 23 décembre 2021 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Marie Molinié, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Waquet, pour la société requérante, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 18 janvier 2022 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 2141-1 du code de la commande publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 novembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'une des infractions prévues aux articles 222-34 à 222-40, 225-4-1, 225-4-7, 313-1, 313-3, 314-1, 324-1, 324-5, 324-6, 421-1 à 421-2-4, 421-5, 432-10, 432-11, 432-12 à 432-16, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 441-1 à 441-7, 441-9, 445-1 à 445-2-1 ou 450-1 du code pénal, aux articles 1741 à 1743, 1746 ou 1747 du code général des impôts, ou pour recel de telles infractions, ainsi que pour les infractions équivalentes prévues par la législation d'un autre État membre de l'Union européenne.
« La condamnation définitive pour l'une de ces infractions ou pour recel d'une de ces infractions d'un membre de l'organe de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance ou d'une personne physique qui détient un pouvoir de représentation, de décision ou de contrôle d'une personne morale entraîne l'exclusion de la procédure de passation des marchés de cette personne morale, tant que cette personne physique exerce ces fonctions.
« Sauf lorsque la peine d'exclusion des marchés a été prononcée pour une durée différente par une décision de justice définitive, l'exclusion de la procédure de passation des marchés au titre du présent article s'applique pour une durée de cinq ans à compter du prononcé de la condamnation ».

2. L'article L. 3123-1 du même code, dans la même rédaction, prévoit : « Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'une des infractions prévues aux articles 222-34 à 222-40, 313-1, 313-3, 314-1, 324-1, 324-5, 324-6, 421-1 à 421-2-4, 421-5, 432-10, 432-11, 432-12 à 432-16, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 441-1 à 441-7, 441-9, 445-1 à 445-2-1 ou 450-1 du code pénal, aux articles 1741 à 1743, 1746 ou 1747 du code général des impôts, et pour les contrats de concession qui ne sont pas des contrats de concession de défense ou de sécurité aux articles 225-4-1 et 225-4-7 du code pénal, ou pour recel de telles infractions, ainsi que pour les infractions équivalentes prévues par la législation d'un autre État membre de l'Union européenne.
« La condamnation définitive pour l'une de ces infractions ou pour recel d'une de ces infractions d'un membre de l'organe de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance ou d'une personne physique qui détient un pouvoir de représentation, de décision ou de contrôle d'une personne morale entraîne l'exclusion de la procédure de passation des contrats de concession de cette personne morale, tant que cette personne physique exerce ces fonctions.
« L'exclusion de la procédure de passation des contrats de concession au titre du présent article s'applique pour une durée de cinq ans à compter du prononcé de la condamnation ».

3. Selon les requérants, en prévoyant l'exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession de toute personne ayant fait l'objet d'une condamnation prononcée par un jugement définitif pour certaines infractions, ces dispositions institueraient une peine. Or, elles ne prévoiraient ni que cette peine doit être prononcée par la juridiction de jugement, ni la possibilité pour cette juridiction de la moduler ou celle, pour la personne condamnée, d'en obtenir le relèvement. Il en résulterait une méconnaissance des principes de nécessité et d'individualisation des peines ainsi que du droit à un recours juridictionnel effectif.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive » figurant au premier alinéa de l'article L. 2141-1 du code de la commande publique et sur les mots « Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive » figurant au premier alinéa de l'article L. 3123-1 du même code.

5. Aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». La transposition d'une directive ou l'adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l'absence de mise en cause d'une telle règle ou d'un tel principe, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive ou des dispositions d'un règlement de l'Union européenne. Dans cette hypothèse, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive ou ce règlement des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne.

6. En application de l'article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 et de l'article 57 de la directive 2014/24/UE du même jour, les autorités adjudicatrices doivent exclure un opérateur économique des procédures de passation des concessions et des marchés lorsque cet opérateur a fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'une des infractions que ces articles énumèrent.

7. Les dispositions contestées des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique visent à assurer la transposition de ces directives en prévoyant que sont exclues respectivement de la procédure de passation des marchés et de la procédure de passation des contrats de concession les personnes ayant fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'une des infractions que ces articles visent.

8. Ces dispositions se bornent ainsi à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de ces directives.

9. Par conséquent, le Conseil constitutionnel n'est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

10. Or, en premier lieu, d'une part, les dispositions contestées, qui n'ont pas pour objet de punir les opérateurs économiques mais d'assurer l'efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, n'instituent pas une sanction ayant le caractère d'une punition. D'autre part, les principes de nécessité et d'individualisation des peines, qui sont protégés par le droit de l'Union européenne, ne constituent pas des règles ou principes inhérents à l'identité constitutionnelle de la France.

11. En second lieu, le droit à un recours juridictionnel effectif, qui est également protégé par le droit de l'Union européenne, ne constitue pas non plus une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

12. Par suite, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mots « Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive » figurant au premier alinéa de l'article L. 2141-1 du code de la commande publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique, et sur les mots « Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive » figurant au premier alinéa de l'article L. 3123-1 du même code, dans la même rédaction.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 janvier 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 28 janvier 2022.

JORF n°0024 du 29 janvier 2022, texte n° 69
ECLI : FR : CC : 2022 : 2021.966.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.1. Champ d'application des principes de l'article 8 de la Déclaration de 1789
  • 4.23.1.2. Mesures n'ayant pas le caractère d'une punition
  • 4.23.1.2.4. Autres mesures n'ayant pas le caractère d'une punition

L'exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession prévue par les articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique à l'encontre des personnes ayant fait l'objet d'une condamnation définitive pour certaines infractions, qui n'a pas pour objet de punir les opérateurs économiques mais d'assurer l'efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, n'institue pas une sanction ayant le caractère d'une punition.

(2021-966 QPC, 28 janvier 2022, cons. 10, JORF n°0024 du 29 janvier 2022, texte n° 69)
  • 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4. QUESTIONS PROPRES AU DROIT COMMUNAUTAIRE OU DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4.4. Lois de transposition des directives communautaires ou de l'Union européenne ou d'adaptation du droit interne aux règlements européens
  • 7.4.4.1. Notion de loi de transposition et de loi d'adaptation

En application de l'article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 et de l'article 57 de la directive 2014/24/UE du même jour, les autorités adjudicatrices doivent exclure un opérateur économique des procédures de passation des concessions et des marchés lorsque cet opérateur a fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'une des infractions que ces articles énumèrent. Les dispositions contestées des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique visent à assurer la transposition de ces directives en prévoyant que sont exclues respectivement de la procédure de passation des marchés et de la procédure de passation des contrats de concession les personnes ayant fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'une des infractions que ces articles visent. Ces dispositions se bornent ainsi à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de ces directives. Par conséquent, le Conseil constitutionnel n'est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

(2021-966 QPC, 28 janvier 2022, cons. 6, 7, 8, 9, JORF n°0024 du 29 janvier 2022, texte n° 69)
  • 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4. QUESTIONS PROPRES AU DROIT COMMUNAUTAIRE OU DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4.4. Lois de transposition des directives communautaires ou de l'Union européenne ou d'adaptation du droit interne aux règlements européens
  • 7.4.4.2. Absence de contrôle de la constitutionnalité de la loi de transposition ou d'adaptation
  • 7.4.4.2.1. Principe

Le Conseil constitutionnel n'est compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

(2021-966 QPC, 28 janvier 2022, cons. 9, JORF n°0024 du 29 janvier 2022, texte n° 69)
  • 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4. QUESTIONS PROPRES AU DROIT COMMUNAUTAIRE OU DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4.4. Lois de transposition des directives communautaires ou de l'Union européenne ou d'adaptation du droit interne aux règlements européens
  • 7.4.4.2. Absence de contrôle de la constitutionnalité de la loi de transposition ou d'adaptation
  • 7.4.4.2.2. Exception fondée sur la clause de sauvegarde
  • 7.4.4.2.2.2. Absence d'application de la clause de sauvegarde

Le Conseil constitutionnel n'est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Or, en premier lieu, d'une part, les dispositions contestées des premiers alinéas des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique, qui n'ont pas pour objet de punir les opérateurs économiques mais d'assurer l'efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, n'instituent pas une sanction ayant le caractère d'une punition. D'autre part, les principes de nécessité et d'individualisation des peines, qui sont protégés par le droit de l'Union européenne, ne constituent pas des règles ou principes inhérents à l'identité constitutionnelle de la France. En second lieu, le droit à un recours juridictionnel effectif, qui est également protégé par le droit de l'Union européenne, ne constitue pas non plus une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Par suite, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité.

(2021-966 QPC, 28 janvier 2022, cons. 9, 10, 11, 12, JORF n°0024 du 29 janvier 2022, texte n° 69)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

(2021-966 QPC, 28 janvier 2022, cons. 9, JORF n°0024 du 29 janvier 2022, texte n° 69)
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