Décision

Décision n° 2021-959 QPC du 7 janvier 2022

M. Manuel R. [Droit de recours dans le cadre de la procédure d’exécution sur le territoire français d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d’un État membre de l’Union européenne]
Non conformité totale

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 octobre 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1254 du 6 octobre 2021), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Manuel R. par Mes Camille Friedrich et Jean-Baptiste de Gubernatis, avocats au barreau d’Aix-en-Provence. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-959 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l’article 728-48 du code de procédure pénale et du deuxième alinéa de l’article 728-52 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de procédure pénale ;
  • la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par Mes Friedrich et de Gubernatis, enregistrées le 4 novembre 2021 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Mes Friedrich et de Gubernatis pour le requérant, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 14 décembre 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 728-48 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 5 août 2013 mentionnée ci-dessus, détermine notamment les conditions dans lesquelles peut être contestée une décision du procureur de la République prise sur une demande de reconnaissance et d’exécution sur le territoire français d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d’un autre État membre de l’Union européenne. Son second alinéa prévoit : « Toutefois, la personne condamnée n’est pas recevable à saisir la chambre des appels correctionnels en cas de refus d’exécution opposé dans le cas prévu au 3 ° de l’article 728-11 ».
 

2. Le deuxième alinéa de l’article 728-52 du même code, dans la même rédaction, prévoit : « Si la demande de reconnaissance et d’exécution présentée par l’autorité compétente de l’État de condamnation entre dans les prévisions du 3 ° de l’article 728-11 et si le procureur général déclare ne pas consentir à l’exécution, la chambre des appels correctionnels lui en donne acte et constate que la peine ou la mesure de sûreté privative de liberté ne peut être mise à exécution en France ».
 

3. Le requérant reproche à ces dispositions de priver une personne condamnée par une juridiction d’un autre État membre de toute possibilité de contester le refus du procureur de la République de consentir à l’exécution sur le territoire français de sa peine. Ces dispositions méconnaîtraient, d’une part, le droit à un recours juridictionnel effectif et, d’autre part, au regard des conséquences qu’emporte un tel refus sur la situation personnelle de la personne condamnée, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.

4. Il soutient également que ces dispositions priveraient les seules personnes de nationalité étrangère de la possibilité de saisir le juge de ce refus, en méconnaissance du principe d’égalité.

- Sur le fond :

5. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

6. Le procureur de la République est compétent pour se prononcer sur les demandes de reconnaissance et d’exécution sur le territoire français des décisions de condamnation à une peine privative de liberté prononcées par les juridictions des autres États membres. En application du 3 ° de l’article 728-11 du code de procédure pénale, une telle reconnaissance est subordonnée au consentement du procureur de la République lorsque la personne condamnée est de nationalité étrangère.

7. Selon l’article 728-43 du même code, le procureur de la République peut refuser de donner son consentement notamment s’il estime que l’exécution en France de la condamnation n’est pas de nature à favoriser la réinsertion sociale de la personne concernée. Dans ce cas, les dispositions contestées de l’article 728-48 prévoient que cette personne n’est pas recevable à saisir la chambre des appels correctionnels pour contester ce refus.

8. Les dispositions contestées de l’article 728-52 prévoient, quant à elles, que, lorsque la chambre des appels correctionnels est saisie d’un recours formé contre une décision de refus fondée sur un autre motif que celui prévu au 3 ° de l’article 728-11, le procureur général peut invoquer cette disposition pour refuser de consentir à l’exécution de la peine en France. La chambre des appels correctionnels doit alors lui en donner acte et constater que la peine privative de liberté ne peut être mise à exécution en France.

9. Il résulte ainsi des dispositions contestées que les personnes qui se voient opposer une décision de refus sur le fondement du 3 ° de l’article 728-11 ne peuvent pas la contester devant une juridiction.

10. Au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour ces personnes une telle décision, l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de cette décision méconnaît les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

11. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

12. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.

13. En l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le second alinéa de l’article 728-48 du code de procédure pénale et le deuxième alinéa de l’article 728-52 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, sont contraires à la Constitution.
 
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 janvier 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
 
   
Rendu public le 7 janvier 2022.
 

JORF n°0006 du 8 janvier 2022, texte n° 74
ECLI : FR : CC : 2022 : 2021.959.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.3. Droit au recours
  • 4.2.2.3.5. Procédure pénale

Le Conseil est saisi de dispositions relatives à la reconnaissance et à l'exécution sur le territoire français d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par les juridictions d'un autre État membre. Le procureur de la République est compétent pour se prononcer sur les demandes de reconnaissance et d'exécution sur le territoire français des décisions de condamnation à une peine privative de liberté prononcées par les juridictions des autres États membres. En application du 3° de l'article 728-11 du code de procédure pénale, une telle reconnaissance est subordonnée au consentement du procureur de la République lorsque la personne condamnée est de nationalité étrangère. Selon l'article 728-43 du même code, le procureur de la République peut refuser de donner son consentement notamment s'il estime que l'exécution en France de la condamnation n'est pas de nature à favoriser la réinsertion sociale de la personne concernée. Dans ce cas, les dispositions contestées de l'article 728-48 prévoient que cette personne n'est pas recevable à saisir la chambre des appels correctionnels pour contester ce refus. Les dispositions contestées de l'article 728-52 prévoient, quant à elles, que, lorsque la chambre des appels correctionnels est saisie d'un recours formé contre une décision de refus fondée sur un autre motif que celui prévu au 3° de l'article 728-11, le procureur général peut invoquer cette disposition pour refuser de consentir à l'exécution de la peine en France. La chambre des appels correctionnels doit alors lui en donner acte et constater que la peine privative de liberté ne peut être mise à exécution en France. Il résulte ainsi des dispositions contestées que les personnes qui se voient opposer une décision de refus sur le fondement du 3° de l'article 728-11 ne peuvent pas la contester devant une juridiction. Au regard des conséquences qu'est susceptible d'entraîner pour ces personnes une telle décision, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de cette décision méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

(2021-959 QPC, 07 janvier 2022, cons. 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0006 du 8 janvier 2022, texte n° 74)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
  • 4.23.9.9. Application des peines

Le Conseil est saisi de dispositions relatives à la reconnaissance et à l'exécution sur le territoire français d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par les juridictions d'un autre État membre. Le procureur de la République est compétent pour se prononcer sur les demandes de reconnaissance et d'exécution sur le territoire français des décisions de condamnation à une peine privative de liberté prononcées par les juridictions des autres États membres. En application du 3° de l'article 728-11 du code de procédure pénale, une telle reconnaissance est subordonnée au consentement du procureur de la République lorsque la personne condamnée est de nationalité étrangère. Selon l'article 728-43 du même code, le procureur de la République peut refuser de donner son consentement notamment s'il estime que l'exécution en France de la condamnation n'est pas de nature à favoriser la réinsertion sociale de la personne concernée. Dans ce cas, les dispositions contestées de l'article 728-48 prévoient que cette personne n'est pas recevable à saisir la chambre des appels correctionnels pour contester ce refus. Les dispositions contestées de l'article 728-52 prévoient, quant à elles, que, lorsque la chambre des appels correctionnels est saisie d'un recours formé contre une décision de refus fondée sur un autre motif que celui prévu au 3° de l'article 728-11, le procureur général peut invoquer cette disposition pour refuser de consentir à l'exécution de la peine en France. La chambre des appels correctionnels doit alors lui en donner acte et constater que la peine privative de liberté ne peut être mise à exécution en France. Il résulte ainsi des dispositions contestées que les personnes qui se voient opposer une décision de refus sur le fondement du 3° de l'article 728-11 ne peuvent pas la contester devant une juridiction. Au regard des conséquences qu'est susceptible d'entraîner pour ces personnes une telle décision, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de cette décision méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

(2021-959 QPC, 07 janvier 2022, cons. 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0006 du 8 janvier 2022, texte n° 74)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
  • 4.23.9.10. Voies de recours

Le Conseil est saisi de dispositions relatives à la reconnaissance et à l'exécution sur le territoire français d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par les juridictions d'un autre État membre. Le procureur de la République est compétent pour se prononcer sur les demandes de reconnaissance et d'exécution sur le territoire français des décisions de condamnation à une peine privative de liberté prononcées par les juridictions des autres États membres. En application du 3° de l'article 728-11 du code de procédure pénale, une telle reconnaissance est subordonnée au consentement du procureur de la République lorsque la personne condamnée est de nationalité étrangère. Selon l'article 728-43 du même code, le procureur de la République peut refuser de donner son consentement notamment s'il estime que l'exécution en France de la condamnation n'est pas de nature à favoriser la réinsertion sociale de la personne concernée. Dans ce cas, les dispositions contestées de l'article 728-48 prévoient que cette personne n'est pas recevable à saisir la chambre des appels correctionnels pour contester ce refus. Les dispositions contestées de l'article 728-52 prévoient, quant à elles, que, lorsque la chambre des appels correctionnels est saisie d'un recours formé contre une décision de refus fondée sur un autre motif que celui prévu au 3° de l'article 728-11, le procureur général peut invoquer cette disposition pour refuser de consentir à l'exécution de la peine en France. La chambre des appels correctionnels doit alors lui en donner acte et constater que la peine privative de liberté ne peut être mise à exécution en France. Il résulte ainsi des dispositions contestées que les personnes qui se voient opposer une décision de refus sur le fondement du 3° de l'article 728-11 ne peuvent pas la contester devant une juridiction. Au regard des conséquences qu'est susceptible d'entraîner pour ces personnes une telle décision, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de cette décision méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

(2021-959 QPC, 07 janvier 2022, cons. 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0006 du 8 janvier 2022, texte n° 74)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
  • 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
  • 11.8.6.2.2. Abrogation
  • 11.8.6.2.2.1. Abrogation à la date de la publication de la décision

Le Conseil déclare inconstitutionnelles des dispositions qui ne permettent pas aux personnes qui se voient opposer une décision de refus du procureur de la République de reconnaître et d'exécuter sur le territoire français une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par les juridictions d'un autre État membre, de la contester devant une juridiction. Aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

(2021-959 QPC, 07 janvier 2022, cons. 13, JORF n°0006 du 8 janvier 2022, texte n° 74)
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