Décision

Décision n° 2020-880 QPC du 29 janvier 2021

M. Pascal J. [Révocation d'un avantage matrimonial en cas de divorce]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 novembre 2020 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 793 du 5 novembre 2020), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Pascal J. par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-880 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des paragraphes I et II de l'article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code civil ;
  • la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce ;
  • la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités ;
  • les arrêts de la Cour de cassation du 16 juin 1992 et du 17 janvier 2006 (première chambre civile, nos 91-10.321 et 02-18.794) ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 30 novembre 2020 ;
  • les observations présentées pour Mme Véronique P., partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Ohl et Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
  • les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 15 décembre 2020 ;
  • les secondes observations présentées pour Mme Véronique P. par la SCP Ohl et Vexliard, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Jean de Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Claude Ohl, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Mme Véronique P., et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 janvier 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des paragraphes I et II de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction initiale.

2. Les paragraphes I et II de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004, dans cette rédaction, prévoient :
« I. - La présente loi entrera en vigueur le 1er janvier 2005.
« II. - Elle s'appliquera aux procédures en divorce introduites avant son entrée en vigueur sous les exceptions qui suivent :
« a) Lorsque la convention temporaire a été homologuée avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action en divorce est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne ;
« b) Lorsque l'assignation a été délivrée avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action en divorce est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne.
« Par dérogation au b, les époux peuvent se prévaloir des dispositions des articles 247 et 247-1 du code civil ; le divorce peut également être prononcé pour altération définitive du lien conjugal si les conditions de l'article 238 sont réunies et dans le respect des dispositions de l'article 246 ».

3. Le requérant soutient que, dans la mesure où le droit antérieur à la loi du 26 mai 2004 prévoyait la révocation automatique, en cas de divorce pour faute aux torts exclusifs, des avantages matrimoniaux reçus, les époux qui avaient consenti de tels avantages pouvaient s'attendre à ce que cette révocation intervienne si les conditions en étaient remplies. Or, en imposant l'application des nouvelles règles supprimant cette révocation automatique aux divorces pour lesquels l'assignation a été délivrée après le 1er janvier 2005, le législateur aurait remis en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus par les parties des avantages matrimoniaux consentis sous l'empire du droit antérieur, en méconnaissance de la garantie des droits découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il en résulterait également une méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le renvoi opéré par le paragraphe I de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004 au quatrième alinéa de l'article 16 de la même loi, qui a instauré les nouvelles règles relatives à la révocation des avantages matrimoniaux.

5. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

6. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.

7. Avant la loi du 26 mai 2004, l'article 267 du code civil prévoyait que lorsque le divorce était prononcé aux torts exclusifs de l'un des époux, celui-ci perdait de plein droit tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis. L'article 16 de loi du 26 mai 2004 a supprimé cette révocation de plein droit et prévu, à l'article 265 du même code, que « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage ». Les dispositions contestées appliquent cette nouvelle règle aux divorces prononcés après le 1er janvier 2005, à l'exception de ceux répondant aux conditions prévues aux a et b du paragraphe II de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004, même s'ils mettent en cause des avantages matrimoniaux consentis sous l'empire du droit antérieur.

8. Toutefois, en premier lieu, l'objet des avantages matrimoniaux appelés à prendre effet au cours du mariage est d'organiser, par convention entre les époux, la vie commune pendant le mariage. L'évolution éventuelle des conditions légales de leur révocation ne remet pas en cause cet objet.

9. En deuxième lieu, les règles de révocation des avantages matrimoniaux prévues par la loi en cas de divorce relèvent, quant à elles, du régime juridique attaché aux effets patrimoniaux du divorce. Les justiciables pouvaient donc s'attendre à ce qu'elles suivent les évolutions générales du droit du divorce, notamment la portée conférée à la faute, ainsi que leur régime d'entrée en vigueur. Au demeurant, avant même l'intervention de la loi du 26 mai 2004, le sort des avantages matrimoniaux en cas de divorce, au moment où ils étaient consentis, était incertain et dépendait des fautes respectives des conjoints ou de l'initiative du divorce prise ou non par chacun ou d'un commun accord dans la procédure.

10. En dernier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation et de l'article 43 de la loi du 23 juin 2006 mentionnée ci-dessus que les conjoints souhaitant se prémunir notamment contre le risque d'une évolution de la législation pouvaient décider de fixer par convention les conditions dans lesquelles ces avantages matrimoniaux pouvaient être révoqués à raison du divorce.

11. Il résulte de ce qui précède que les époux ayant consenti des avantages matrimoniaux sous l'empire du droit antérieur à la loi du 26 mai 2004 ne pouvaient légitimement s'attendre à ce que ne s'appliquent pas aux divorces prononcés après l'entrée en vigueur de cette loi les nouvelles règles légales relatives à la révocation des avantages en cas de divorce. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doit donc être écarté.

12. Le renvoi opéré par le paragraphe I de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004 au quatrième alinéa de l'article 16 de la même loi, qui ne méconnaît pas davantage le droit au maintien des conventions légalement conclues ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le renvoi opéré par le paragraphe I de l'article 33 de la loi du n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, dans sa rédaction initiale, au quatrième alinéa de l'article 16 de la même loi, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 janvier 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 29 janvier 2021.

JORF n°0026 du 30 janvier 2021, texte n° 83
ECLI : FR : CC : 2021 : 2020.880.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.4. Sécurité juridique
  • 4.2.2.4.1. Atteinte à un acte ou à une situation légalement acquise
  • 4.2.2.4.1.1. Remise en cause des effets qui peuvent légitimement être attendus

Application aux avantages matrimoniaux consentis à une époque où le divorce prononcé aux torts exclusifs d'un époux entraînait la révocation de plein droit desdits avantages, d'une nouvelle règle selon laquelle « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage ».
En premier lieu, l'objet des avantages matrimoniaux appelés à prendre effet au cours du mariage est d'organiser, par convention entre les époux, la vie commune pendant le mariage. L'évolution éventuelle des conditions légales de leur révocation ne remet pas en cause cet objet. En deuxième lieu, les règles de révocation des avantages matrimoniaux prévues par la loi en cas de divorce relèvent, quant à elles, du régime juridique attaché aux effets patrimoniaux du divorce. Les justiciables pouvaient donc s'attendre à ce qu'elles suivent les évolutions générales du droit du divorce, notamment la portée conférée à la faute, ainsi que leur régime d'entrée en vigueur. Au demeurant, avant même l'intervention de la loi du 26 mai 2004, le sort des avantages matrimoniaux en cas de divorce, au moment où ils étaient consentis, était incertain et dépendait des fautes respectives des conjoints ou de l'initiative du divorce prise ou non par chacun ou d'un commun accord dans la procédure. En dernier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation et de l'article 43 de la loi du 23 juin 2006 que les conjoints souhaitant se prémunir notamment contre le risque d'une évolution de la législation pouvaient décider de fixer par convention les conditions dans lesquelles ces avantages matrimoniaux pouvaient être révoqués à raison du divorce.
Il résulte de ce qui précède que les époux ayant consenti des avantages matrimoniaux sous l'empire du droit antérieur à la loi du 26 mai 2004 ne pouvaient légitimement s'attendre à ce que ne s'appliquent pas aux divorces prononcés après l'entrée en vigueur de cette loi les nouvelles règles légales relatives à la révocation des avantages en cas de divorce. Rejet du grief.

(2020-880 QPC, 29 janvier 2021, cons. 7, 8, 9, 10, 11, JORF n°0026 du 30 janvier 2021, texte n° 83)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1.1. Délimitation visant le renvoi à une autre disposition législative opéré par la disposition soumise au Conseil

Saisi des paragraphes I et II de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, qui fixe les conditions d'entrée en vigueur de l'ensemble des dispositions de cette loi, le Conseil constitutionnel juge, au vu des griefs portant sur l'application des nouvelles règles de révocation des avantages matrimoniaux prévues à l'article 16 de cette loi, qu'il est saisi du renvoi au quatrième alinéa de cet article 16, opéré par le paragraphe I de l'article 33 qui lui a été renvoyé.

(2020-880 QPC, 29 janvier 2021, cons. 3, 4, JORF n°0026 du 30 janvier 2021, texte n° 83)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.2. Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La rédaction de la disposition renvoyée n'ayant pas été déterminée, le Conseil constitutionnel y procède en déterminant la rédaction applicable au litige.

(2020-880 QPC, 29 janvier 2021, cons. 1, JORF n°0026 du 30 janvier 2021, texte n° 83)
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