Décision n° 2015-521/528 QPC du 19 février 2016
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 novembre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 394016, 394017, 394217, 394280, 394281 et 394445 du 27 novembre 2015), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour la commune d'Éguilles par Me Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-521 QPC.
Il a été saisi le 18 décembre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 394218 du 18 décembre 2015), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour la commune de Pertuis par la SELARL Abeille et Associés, avocat au barreau de Marseille, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales et des mots : « à l'exception de la métropole d'Aix-Marseille-Provence » figurant au premier alinéa du paragraphe VI du même article, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-528 QPC.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ;
Vu la loi n° 2015-264 du 9 mars 2015 autorisant l'accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la commune d'Éguilles par Me Bluteau, enregistrées les 21 et 22 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 22 décembre 2015 et 11 janvier 2016 ;
Vu les observations produites pour la commune de Pertuis par la SELARL Abeille et Associés, le 11 janvier 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour la commune de Marseille par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 22 décembre 2015, 6 et 11 janvier 2016 ;
Vu les observations du Président du Sénat, enregistrées le 19 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Philippe Bluteau pour les communes d'Éguilles et de Pertuis, Me Claire Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la commune de Marseille, partie intervenante et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 11 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces questions prioritaires de constitutionnalité pour y répondre par une seule décision ;
2. Considérant que les dispositions des paragraphes II à IV et VI de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales fixent les règles selon lesquelles est composé l'organe délibérant des métropoles ; que le nombre des sièges à pourvoir est en premier lieu fixé en proportion de la population totale de l'établissement public de coopération intercommunale, selon un tableau figurant au paragraphe III de cet article ; qu'en vertu du 1 ° du paragraphe IV, ces sièges sont répartis entre les communes membres de la métropole à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; qu'en vertu du 2 ° de ce même paragraphe IV, les communes qui n'ont pu bénéficier de cette répartition se voient attribuer un siège au-delà de l'effectif fixé par le tableau ; qu'en vertu du 3 ° de ce même paragraphe IV, si une commune obtient plus de la moitié des sièges, le nombre de sièges qui lui sont attribués est plafonné à la moitié et les sièges en surplus sont répartis entre les autres communes à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; qu'en vertu du 4 ° de ce même paragraphe IV, si une commune se voit attribuer un nombre de sièges supérieur à celui de ses conseillers municipaux, le nombre de sièges est réduit à due concurrence tant pour l'organe délibérant dans son ensemble que pour la commune dont il s'agit ;
3. Considérant qu'en vertu du premier alinéa du paragraphe VI de l'article L. 5211-6-1, les communes de la métropole peuvent créer et répartir un nombre de sièges supplémentaires inférieur ou égal à 10 % du nombre total des sièges issu de l'application des paragraphes III et IV ; que toutefois, cette faculté est ouverte, aux termes de cet alinéa dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2015 susvisée, aux métropoles « à l'exception de la métropole d'Aix-Marseille-Provence » ;
4. Considérant qu'aux termes du 4 ° bis du paragraphe IV du même article L. 5211-6-1, dans sa rédaction issue de la loi du 27 janvier 2014 susvisée : « Dans la métropole d'Aix-Marseille-Provence, sont attribués en supplément, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, aux communes ayant bénéficié de la répartition des sièges prévue au 1 ° du présent IV, 20 % de la totalité des sièges, répartis en application des 1 ° et 2 ° du même IV » ;
5. Considérant que, selon les communes requérantes, si les dispositions contestées ont pour effet d'améliorer la représentativité des membres de l'organe délibérant de la métropole issus des communes les plus peuplées de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, elles altèrent la représentativité de ceux des autres communes désignés à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; qu'ainsi, ces dispositions amplifieraient les inégalités de représentation dans une proportion telle qu'il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage ; que, selon la commune de Pertuis, en permettant que la commune de Marseille bénéficie d'un nombre de conseillers métropolitains supérieur à celui de ses conseillers municipaux, ces dispositions méconnaissent également le droit de suffrage ; qu'enfin, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et porteraient une atteinte manifestement disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales ;
6. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LE SUFFRAGE :
7. Considérant que, selon le premier alinéa de l'article 72 de la Constitution : « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi » ; que le troisième alinéa du même article dispose que ces collectivités « s'administrent librement par des conseils élus » dans les conditions prévues par la loi ; que selon le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret » ; que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ;
8. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales exercent aux lieu et place de celles-ci des compétences qui leur sont dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques ; que s'il s'ensuit que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité territoriale membre de l'établissement public de coopération, il peut être toutefois tenu compte, dans une mesure limitée, d'autres considérations d'intérêt général ;
9. Considérant que les dispositions contestées prévoient l'attribution de plein droit de sièges supplémentaires, répartis à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne entre les communes de la métropole d'Aix-Marseille-Provence qui ont bénéficié de la répartition des sièges en vertu des dispositions du 1 ° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales ; qu'elles fixent le nombre de sièges supplémentaires ainsi répartis à 20 % du total des sièges précédemment répartis en vertu des dispositions des 1 ° à 4 ° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 ;
10. Considérant qu'ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 27 janvier 2014, le législateur a entendu, en instituant cette règle complémentaire réservée à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, réduire les écarts de représentation entre les communes les plus peuplées et les autres communes de cette métropole, lesquels résultent des écarts démographiques particulièrement prononcés entre les communes membres de cette métropole et de l'application de la règle fixée par le 2 ° du paragraphe IV à un nombre important de communes peu peuplées ;
11. Considérant qu'en attribuant des sièges supplémentaires à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne aux communes qui se sont vu allouer des sièges lors de la première répartition selon la même règle, le législateur a permis que la représentation des communes les plus peuplées de la métropole se rapproche de la représentation moyenne de l'ensemble des communes de la métropole ; que l'attribution de ces sièges a pour effet de réduire substantiellement l'écart entre le rapport du nombre de membres de l'organe délibérant alloués à une commune et sa population et le rapport du nombre total de membres de l'organe délibérant et la population de la métropole ; que si, dans le même temps, cette attribution a pour conséquence d'accroître « l'écart à la moyenne » pour certaines communes, ces dernières ne représentent qu'une faible part de l'ensemble des communes et de l'ensemble de la population de la métropole ; qu'il s'ensuit que les dispositions du 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui ont pour effet d'améliorer la représentativité des membres de l'organe délibérant de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant le suffrage ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
12. Considérant que les dispositions contestées ne fixent pas les modalités selon lesquelles sont élues les personnes appelées à pourvoir les sièges de conseillers métropolitains attribués à chaque commune ; que le grief tiré de la méconnaissance du droit de suffrage, dirigé contre les dispositions du 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1, est, par suite, inopérant ;
13. Considérant que, si les règles relatives au rattachement de communes à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre affectent la libre administration de ces communes, les règles relatives à la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant de l'établissement public entre les communes membres de cet établissement public ne portent en revanche, en elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration de ces collectivités ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions du 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 4 ° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 19 février 2016.
JORF n°0044 du 21 février 2016, texte n° 24
ECLI : FR : CC : 2016 : 2015.521.QPC
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.1. PRINCIPES DU DROIT ÉLECTORAL
- 8.1.1. Droits et libertés de l'électeur
- 8.1.1.2. Égalité entre électeurs
- 8.1.1.2.1. Principe d'équilibre démographique
8.1.1.2.1.6. Élection aux conseils des établissements publics de coopération entre collectivités
Dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales exercent aux lieu et place de celles-ci des compétences qui leur sont dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques. S'il s'ensuit que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité territoriale membre de l'établissement public de coopération, il peut être toutefois tenu compte, dans une mesure limitée, d'autres considérations d'intérêt général.
Les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L.5211-6-1 du code général des collectivités territoriales prévoient l'attribution de plein droit de sièges supplémentaires, répartis à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne entre les communes de la métropole d'Aix-Marseille-Provence qui ont bénéficié de la répartition des sièges en vertu des dispositions du 1° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales. Elles fixent le nombre de sièges supplémentaires ainsi répartis à 20 % du total des sièges précédemment répartis en vertu des dispositions des 1° à 4° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1.
Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 27 janvier 2014, le législateur a entendu, en instituant cette règle complémentaire réservée à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, réduire les écarts de représentation entre les communes les plus peuplées et les autres communes de cette métropole, lesquels résultent des écarts démographiques particulièrement prononcés entre les communes membres de cette métropole et de l'application de la règle fixée par le 2° du paragraphe IV à un nombre important de communes peu peuplées. En attribuant des sièges supplémentaires à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne aux communes qui se sont vu allouer des sièges lors de la première répartition selon la même règle, le législateur a permis que la représentation des communes les plus peuplées de la métropole se rapproche de la représentation moyenne de l'ensemble des communes de la métropole. L'attribution de ces sièges a pour effet de réduire substantiellement l'écart entre le rapport du nombre de membres de l'organe délibérant alloués à une commune et sa population et le rapport du nombre total de membres de l'organe délibérant et la population de la métropole. Si, dans le même temps, cette attribution a pour conséquence d'accroître « l'écart à la moyenne » pour certaines communes, ces dernières ne représentent qu'une faible part de l'ensemble des communes et de l'ensemble de la population de la métropole. Il s'ensuit que les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui ont pour effet d'améliorer la représentativité des membres de l'organe délibérant de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant le suffrage.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.3. Grief inopérant
Les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales contestées ne fixent pas les modalités selon lesquelles sont élues les personnes appelées à pourvoir les sièges de conseillers métropolitains attribués à chaque commune. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de suffrage, dirigé contre ces dispositions, est, par suite, inopérant.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Saisi des dispositions du paragraphe VI de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales selon lesquels les communes de la métropole peuvent créer et répartir un nombre de sièges supplémentaires inférieur ou égal à 10 % du nombre total des sièges issu de l'application des paragraphes III et IV, « à l'exception de la métropole d'Aix-Marseille-Provence » ainsi que des dispositions du 4° bis du paragraphe IV du même article L. 5211-6-1, le Conseil constitutionnel considère que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales.
- 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
- 14.1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
- 14.1.3. Libre administration des collectivités territoriales
14.1.3.2. Absence de violation du principe
Si les règles relatives au rattachement de communes à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre affectent la libre administration de ces communes, les règles relatives à la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant de l'établissement public entre les communes membres de cet établissement public ne portent en revanche, en elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration de ces collectivités.