Décision n° 2014-414 QPC du 26 septembre 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juin 2014 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1356 du 26 juin 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Assurances du Crédit mutuel, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 191-4 du code des assurances.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des assurances ;
Vu la loi d'Empire du 30 mai 1908 sur le contrat d'assurance (Reichsgezetz über den Versicherungsvertrag) ;
Vu la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu la loi n° 91-412 du 6 mai 1991 introduisant dans le code des assurances des dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites par l'Institut du droit local alsacien-mosellan, enregistrées les 17 juillet et 1er août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 16 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les articles L. 113-8 et L. 113-9 du code des assurances prévoient des sanctions lorsque les déclarations de l'assuré ne correspondent pas à la réalité de l'objet assuré ; qu'en vertu de l'article L. 113-8, l'assuré qui a omis de déclarer certains éléments lors de la conclusion du contrat d'assurance s'expose à la nullité du contrat s'il a agi de mauvaise foi ; qu'en vertu de l'article L. 113-9, l'omission ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie n'entraîne pas la nullité du contrat d'assurance ; que, dans le cas où la constatation d'une omission ou d'une inexactitude n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ;
2. Considérant que les dispositions contestées de l'article L. 191-4 du même code fixent des règles particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ; qu'aux termes de cet article : « Il n'y a pas lieu à résiliation ni à réduction par application de l'article L. 113-9 si le risque omis ou dénaturé était connu de l'assureur ou s'il ne modifie pas l'étendue de ses obligations ou s'il est demeuré sans incidence sur la réalisation du sinistre » ;
3. Considérant que, selon la société requérante, ces dispositions instituent une règle dérogatoire à la règle fixée à l'article L. 113-9 du code des assurances relative à la réduction proportionnelle des indemnités d'assurances en cas d'omission ou de déclaration inexacte de l'assuré ; que, dans la mesure où la dérogation au droit commun aurait été aggravée par la loi du 6 mai 1991 susvisée, les différences de traitement en résultant porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi tel qu'il est garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « la loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant, d'autre part, que la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s'agit ; que ce principe doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles ;
6. Considérant que l'existence de règles particulières applicables au contrat d'assurance dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle trouve son origine dans la loi d'Empire du 30 mai 1908 susvisée ; que cette loi est au nombre des règles particulières antérieures à 1919 qui ont été maintenues en vigueur dans ces départements par les lois du 1er juin 1924 susvisées ;
7. Considérant, toutefois, que l'état du droit résultant de cette loi du 30 mai 1908 prévoyait que l'assuré ayant omis d'informer son assureur, ou ayant souscrit, sans mauvaise foi, une déclaration inexacte ou incomplète, pouvait néanmoins bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre, soit si le risque omis ou dénaturé était effectivement connu de l'assureur, soit si ce risque n'avait pas influé sur la cause et la survenance du sinistre et n'avait pas modifié l'étendue de la prestation de l'assureur ;
8. Considérant que la loi du 6 mai 1991 a abrogé les dispositions de la loi du 30 mai 1908 et a introduit dans le code des assurances des dispositions particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ; qu'il ressort de l'article L. 191-4 que l'assuré ayant omis d'informer son assureur, ou ayant fait une déclaration inexacte ou incomplète, peut bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre, soit lorsque le risque omis ou dénaturé était connu de l'assureur, soit lorsqu'il ne modifie pas l'étendue des obligations de l'assureur, soit lorsqu'il est demeuré sans incidence sur la réalisation du sinistre ;
9. Considérant qu'en aménageant, postérieurement à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946, les dispositions de droit local issues de la loi du 30 mai 1908, la loi du 6 mai 1991 a accru, par les dispositions contestées, la différence de traitement résultant de l'application de règles particulières dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; qu'il s'ensuit que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans ces trois départements ne saurait faire obstacle à l'examen du grief tiré de ce que cette différence méconnaît le principe d'égalité devant la loi ; que cette différence entre les dispositions législatives relatives au contrat d'assurance n'est justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi ; qu'elle méconnaît le principe d'égalité ; qu'il s'ensuit que l'article L. 191-4 du code des assurances doit être déclaré contraire à la Constitution ;
10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
11. Considérant que l'abrogation de l'article L. 191-4 du code des assurances prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 191-4 du code des assurances est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au considérant 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 septembre 2014, où siégeaient : M. Jacques BARROT exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 26 septembre 2014.
JORF n°0225 du 28 septembre 2014 page 15789, texte n° 48
ECLI : FR : CC : 2014 : 2014.414.QPC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.4. PRINCIPES FONDAMENTAUX RECONNUS PAR LES LOIS DE LA RÉPUBLIQUE
- 1.4.3. Principes retenus
1.4.3.11. Dispositions particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
Tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, les dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur. À défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi. Telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s'agit. Ce principe doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.6. Violation du principe d'égalité
5.1.6.14. Droit des assurances
Les articles L. 113-8 et L. 113-9 du code des assurances prévoient des sanctions lorsque les déclarations de l'assuré ne correspondent pas à la réalité de l'objet assuré. En vertu de l'article L. 113-8, l'assuré qui a omis de déclarer certains éléments lors de la conclusion du contrat d'assurance s'expose à la nullité du contrat s'il a agi de mauvaise foi. En vertu de l'article L. 113-9, l'omission ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie n'entraîne pas la nullité du contrat d'assurance. Dans le cas où la constatation d'une omission ou d'une inexactitude n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues si les risques avaient été complètement et exactement déclarés.
Les dispositions contestées de l'article L. 191-4 du même code fixent des règles particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Aux termes de cet article : « Il n'y a pas lieu à résiliation ni à réduction par application de l'article L. 113-9 si le risque omis ou dénaturé était connu de l'assureur ou s'il ne modifie pas l'étendue de ses obligations ou s'il est demeuré sans incidence sur la réalisation du sinistre ».
Cette différence entre les dispositions législatives relatives au contrat d'assurance n'est justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. Elle méconnaît le principe d'égalité. Censure de l'article L. 191-4 du code des assurances.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.7. Dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
5.1.7.1. Principe fondamental reconnu par les lois de la République
La législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur. À défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi. Le Conseil constitutionnel prend en considération, au titre de ces aménagements, toutes les dispositions législatives postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.7. Dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
- 5.1.7.2. Applications
5.1.7.2.3. Droit des assurances
L'existence de règles particulières applicables au contrat d'assurance dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle trouve son origine dans la loi d'Empire du 30 mai 1908. Cette loi est au nombre des règles particulières antérieures à 1919 qui ont été maintenues en vigueur dans ces départements par les lois du 1er juin 1924.
Toutefois, l'état du droit résultant de cette loi du 30 mai 1908 prévoyait que l'assuré ayant omis d'informer son assureur, ou ayant souscrit, sans mauvaise foi, une déclaration inexacte ou incomplète, pouvait néanmoins bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre, soit si le risque omis ou dénaturé était effectivement connu de l'assureur, soit si ce risque n'avait pas influé sur la cause et la survenance du sinistre et n'avait pas modifié l'étendue de la prestation de l'assureur. La loi du 6 mai 1991 a abrogé les dispositions de la loi du 30 mai 1908 et a introduit dans le code des assurances des dispositions particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Il ressort de l'article L. 191-4 du code des assurances que l'assuré ayant omis d'informer son assureur, ou ayant fait une déclaration inexacte ou incomplète, peut bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre, soit lorsque le risque omis ou dénaturé était connu de l'assureur, soit lorsqu'il ne modifie pas l'étendue des obligations de l'assureur, soit lorsqu'il est demeuré sans incidence sur la réalisation du sinistre.
En aménageant, postérieurement à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946, les dispositions de droit local issues de la loi du 30 mai 1908, la loi du 6 mai 1991 a accru, par les dispositions contestées, la différence de traitement résultant de l'application de règles particulières dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Il s'ensuit que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans ces trois départements ne saurait faire obstacle à l'examen du grief tiré de ce que cette différence méconnaît le principe d'égalité devant la loi. Cette différence entre les dispositions législatives relatives au contrat d'assurance n'est justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. Elle méconnaît le principe d'égalité. Censure de l'article L. 191-4 du code des assurances.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.1. Abrogation à la date de la publication de la décision
L'abrogation de l'article L. 191-4 du code des assurances prend effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.4. Effets produits par la disposition abrogée
- 11.8.6.2.4.2. Remise en cause des effets
11.8.6.2.4.2.1. Pour les instances en cours ou en cours et à venir
L'abrogation de l'article L. 191-4 du code des assurances, qui prend effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.