Communiqué

Décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 - Communiqué de presse

Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 mai 1999, par le Président de la République, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements que la France entend souscrire dans la partie III de cette convention, la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest le 7 mai 1999, doit être précédée d'une révision de la Constitution.
Par sa décision 99-412 DC du 15 juin 1999, il a estimé que la Charte comportait des clauses contraires à la Constitution.
La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, convention élaborée dans le cadre du Conseil de l'Europe, se compose d'un préambule, d'une partie I, intitulée : « dispositions générales » ; d'une partie II relative aux « objectifs et principes » ; d'une partie III comportant 98 mesures concrètes en faveur de l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, classées par domaine d'application, au sein desquelles chaque Etat contractant est libre de faire un choix -il s'agit d'une convention partiellement « à la carte »- les mesures ainsi retenues ne s'appliquant qu'aux langues indiquées dans son instrument de ratification ; d'une partie IV contenant des dispositions d'application ; d'une partie V fixant des dispositions finales.
Lors de la signature de la Charte, la France a indiqué la liste des 39 mesures concrètes de la partie III qu'elle s'engage à appliquer et qu'elle entend joindre à son instrument de ratification. Onze d'entre elles concernent l'enseignement, neuf les médias, huit les activités et équipements culturels, cinq la vie économique et sociale, trois les autorités administratives et services publics, deux les échanges transfrontaliers et un la justice.
Mais ces engagements concrets ne dispensent pas l'Etat Partie de la mise en oeuvre des dispositions à portée générale de la partie II : celles-ci ont un caractère contraignant ; elles s'appliquent à l'ensemble des langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire et non aux seules langues indiquées dans son instrument de ratification.
Les normes constitutionnelles au regard desquelles ont été contrôlés les engagements retenus sont les suivantes :
Les principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, qui « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » ;
La liberté de communication proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
La règle posée par l'article 2 de la Constitution selon laquelle « la langue de la République est le français », qui impose l'usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes privées dans l'exercice d'une mission de service public, les particuliers ne pouvant se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, pas plus qu'ils ne peuvent être contraints à un tel usage. Mais cette règle ne prohibe pas l'utilisation de traductions et son application ne doit pas conduire à méconnaître l'importance que revêt, en matière d'enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d'expression et de communication.
Le Conseil constitutionnel a estimé qu'aucun des engagements concrets souscrits par la France au titre de la partie III de la Charte, eu égard à leur nature, ne méconnaissait ces normes constitutionnelles. Les actions actuellement conduites par la France en faveur des langues régionales sont au demeurant, a-t-il relevé, d'ores et déjà conformes à la plupart de ces engagements.
En revanche, sont contraires à ces normes tant le préambule de la Charte, qui proclame un « droit imprescriptible » à pratiquer une langue régionale ou minoritaire non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », que certaines dispositions de la partie II, notamment les dispositions de l'article 7 selon lesquelles : « En matière de langues régionales ou minoritaires, dans les territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées et selon la situation de chaque langue, les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes suivants : ...b le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire ; ...d la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée... En définissant leur politique à l'égard des langues régionales ou minoritaires, les Parties s'engagent à prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues. Elles sont encouragées à créer, si nécessaire, des organes chargés de conseiller les autorités sur toutes les questions ayant trait aux langues régionales ou minoritaires ».
Ces clauses sont en effet contraires aux principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français dans la mesure où elles tendent à conférer des droits spécifiques à des « groupes » linguistiques à l'intérieur des « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées.
Elles sont également contraires à l'article 2 de la Constitution dans la mesure où elles tendent à conférer le droit d'employer une langue autre que le français dans la « vie publique », notion dans laquelle la Charte inclut la justice et les « autorités administratives et services publics ».