Communiqué

Décision n° 2023-1059 QPC du 14 septembre 2023 - Communiqué de presse

M. Franck G. [Accès de la police et de la gendarmerie nationales aux parties communes des immeubles à usage d’habitation]
Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel assortit d’une réserve d’interprétation la validation de dispositions législatives permettant aux forces de l’ordre d’accéder en permanence aux parties communes des immeubles à usage d’habitation

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 juin 2023 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

L’objet de la question

Les dispositions contestées imposent aux propriétaires ou aux exploitants d’immeubles à usage d’habitation de garantir notamment aux services de police et de gendarmerie nationales un accès aux parties communes de leurs immeubles aux fins d’intervention. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle résulte de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que cette obligation s’applique à l’ensemble des parties communes, y compris à celles qui ne sont pas librement accessibles.

Les critiques formulées contre ces dispositions

Le requérant reprochait à ces dispositions de reconnaître aux services de police et de gendarmerie nationales un droit d’accès permanent aux parties communes des immeubles d’habitation, alors qu’il s’agit de lieux privés qui pourraient constituer une partie d’un domicile. Selon lui, ce droit d’accès, qui pourrait s’exercer y compris dans le cadre d’une enquête préliminaire, ne serait subordonné ni à l’autorisation des propriétaires ni au contrôle effectif d’un magistrat. Il critiquait par ailleurs l’imprécision de la notion d’« intervention » et l’absence d’encadrement des conditions dans lesquelles les propriétaires sont tenus d’assurer cet accès aux parties communes. Ces dispositions méconnaissaient dès lors, selon lui, le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit de propriété et seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces droits

Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée.

En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il lui incombe d’assurer la conciliation entre, d’une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée.

À l’aune du cadre constitutionnel ainsi énoncé, le Conseil constitutionnel juge, en premier lieu, que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre aux forces de l’ordre d’accéder en permanence aux parties communes des immeubles à usage d’habitation dans le cadre de leurs missions d’urgence et de protection des personnes et des biens. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions.

En deuxième lieu, par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge que, si les dispositions contestées reconnaissent aux forces de l’ordre un droit d’accès à ces parties communes aux fins d’intervention, elles n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de leur permettre d’accéder à ces lieux pour d’autres fins que la réalisation des seuls actes que la loi les autorise à accomplir pour l’exercice de leurs missions.

En troisième lieu, le Conseil rappelle que ce n’est que dans le cas où les services de police et de gendarmerie nationales interviennent dans le cadre d’une opération de police judiciaire, notamment lors d’une enquête préliminaire, que les actes d’investigation prévus par le code de procédure pénale peuvent, le cas échéant, être mis en œuvre et ils ne peuvent l’être que sous le contrôle d’un magistrat du parquet auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, d’en contrôler la proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. En outre, l’article 706-95-12 du même code subordonne la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête à une autorisation d’un magistrat du siège.

En dernier lieu, les services de police et de gendarmerie nationales sont autorisés à accéder uniquement aux parties communes des immeubles à usage d’habitation, qui, en vertu de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, sont constituées des bâtiments et terrains affectés à l’usage et à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux. Les dispositions contestées ne leur permettent donc pas d’accéder à des lieux susceptibles de constituer un domicile.

De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit, que, sous la réserve d’interprétation qui a été énoncée et compte tenu de la nature des lieux auxquels les forces de l’ordre peuvent accéder, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Sous cette réserve, il les juge conformes à la Constitution.