Communiqué

Décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023 - Communiqué de presse

Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur
Non conformité partielle

Saisi de 18 articles de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, le Conseil constitutionnel censure partiellement deux d’entre eux et censure deux autres articles comme cavaliers législatifs

Par sa décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur des dispositions de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dont il avait été saisi par un recours émanant de plus de soixante députés.

* Le Conseil constitutionnel censure partiellement l’article 10 de la loi déférée, modifiant le régime applicable à l’enquête sous pseudonyme en matière d’infractions commises par la voie des communications électroniques.

L’article 230-46 du code de procédure pénale permet aux officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire de procéder sous pseudonyme à certains actes d’enquête. Le 1 ° de l’article contesté prévoyait que l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits n’est plus requise pour l’acquisition de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service ainsi que pour la transmission de tout contenu lorsque l’objet de l’acquisition ou de la transmission est licite. Le 2 ° de cet article prévoit par ailleurs que les officiers ou agents de police judiciaire peuvent, sous certaines conditions, mettre à la disposition des personnes susceptibles d’être les auteurs d’infractions des moyens juridiques ou financiers ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication, en vue de l’acquisition, de la transmission ou de la vente par ces personnes de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite.

Les députés requérants soutenaient en particulier que, en permettant aux enquêteurs de mettre des moyens juridiques, financiers ou matériels à la disposition de personnes susceptibles d’être les auteurs d’une infraction, cet article méconnaissait le principe de proportionnalité des peines ainsi que, en l’absence de définition précise de l’élément intentionnel, le principe de légalité des délits et des peines et l’exigence de clarté de la loi.

Pour se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition, le Conseil constitutionnel s’est principalement fondé sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant le droit à un procès équitable.

Il relève à cette aune que, d’une part, les actes d’enquête pouvant être effectués sous pseudonyme ne peuvent être accomplis que par des enquêteurs affectés dans des services spécialisés et spécialement habilités à cette fin. D’autre part, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction. En outre, la mise à disposition de moyens juridiques, financiers ou matériels doit être autorisée par le procureur de la République ou le juge d'instruction.

Il en déduit que les dispositions du 2 ° de l’article 10 ne méconnaissent pas le droit à un procès équitable.

En revanche, il juge que, eu égard à la nature particulière et aux conditions de réalisation de ces actes d’enquête, en dispensant les acquisitions ou transmissions de contenus de l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction dans le cas où leur objet est licite, les dispositions du 1 ° de l’article 10 privent de garanties légales le droit à un procès équitable.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil constitutionnel censure plusieurs mots du 1 ° de l’article 10 de la loi déférée.

* Le Conseil constitutionnel censure partiellement l’article 18 de la loi créant la fonction d’assistant d’enquête de la police nationale et de la gendarmerie nationale.

Les députés requérants faisaient valoir que ces dispositions n’avaient pas suffisamment encadré les attributions des assistants d’enquête. Il en résultait selon eux une méconnaissance des articles 12 et 13 de la Déclaration de 1789, de l’article 66 de la Constitution ainsi que des droits de la défense.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que l’exigence résultant de l’article 66 de la Constitution, selon laquelle la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire, ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui ne sont pas mis à la disposition d’officiers de police judiciaire.

À cette aune, il relève qu’il résulte des dispositions contestées que les assistants d’enquête peuvent procéder, sur la demande expresse d’un officier de police judiciaire ou d’un agent de police judiciaire, à la convocation d’un témoin ou d’une victime pour audition, à la notification de leurs droits aux victimes, à l’établissement de réquisitions préalablement autorisées par un magistrat, à l’information des proches ou de l’employeur d’une personne placée en garde à vue, à la réquisition d’un médecin pour l’examen de cette personne, à l’information de son avocat de la nature et de la date présumée de l’infraction et à la délivrance d’une convocation devant le tribunal correctionnel préalablement décidée par le procureur de la République.

Le Conseil constitutionnel juge que ces attributions, qui sont limitées à l’accomplissement de tâches matérielles exécutées à la demande expresse d’officiers ou d’agents de police judiciaire, ne comportent aucun pouvoir d’enquête ou d’instruction.

En revanche, il relève que les dispositions contestées prévoient également que les assistants d’enquête peuvent procéder aux transcriptions des enregistrements issus d’interceptions de correspondances ou de techniques spéciales d’enquête nécessaires à la manifestation de la vérité. Or, le Conseil juge que, en confiant aux assistants d’enquête un tel pouvoir, y compris lorsque l’identification préalable des retranscriptions à opérer n’a été réalisée que par un agent de police judiciaire, les dispositions contestées ne permettent pas de garantir le contrôle de l’officier de police judiciaire sur ces opérations en méconnaissance de l’article 66 de la Constitution.

Il censure en conséquence partiellement l’article 18 de la loi déférée.

* Le Conseil constitutionnel écarte les critiques formulées par les députés requérants contre l’article 25 étendant la liste des délits pouvant faire l’objet d’une amende forfaitaire délictuelle.

Les députés requérants reprochaient à ces dispositions, notamment, de méconnaître les principes d’individualisation des peines et d’égalité devant la loi en étendant l’application de l’amende forfaitaire délictuelle à certains délits présentant, selon eux, une faible gravité. En outre, selon eux, en étendant l’amende forfaitaire délictuelle au fait d’entraver ou de gêner la circulation et au fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement scolaire, ces dispositions méconnaissaient le droit de manifester et la liberté d’expression.

Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il résulte des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant aux conditions d’extinction de l’action publique.

Il relève à cette aune que la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle a pour conséquence que, selon le choix de poursuite de l’infraction par le biais de cette procédure ou d’une autre voie de poursuite pouvant le cas échéant mener à une condamnation à une peine d’emprisonnement, l’action publique relative à la commission d’un délit sera éteinte ou non, par le seul paiement de l’amende, sans l’intervention d’une autorité juridictionnelle.

Il juge que, d’une part, il découle du principe d’égalité devant la justice que, si les exigences d’une bonne administration de la justice et d’une répression effective des infractions sont susceptibles de justifier le recours à de tels modes d’extinction de l’action publique en dehors de toute décision juridictionnelle, ce n’est qu’à la condition de porter sur les délits punis d’une peine d’emprisonnement qui ne peut être supérieure à trois ans, dont les éléments constitutifs peuvent être aisément constatés, et de ne mettre en œuvre que des amendes de faible montant.

D’autre part, le Conseil constitutionnel énonce qu’il découle du principe d’égalité devant la loi pénale que la procédure d’amende forfaitaire délictuelle ne saurait s’appliquer à des délits dont le montant de l’amende forfaitaire est supérieur à la moitié du plafond prévu en matière d’amendes forfaitaires délictuelles par le premier alinéa de l’article 495-17 du code de procédure pénale.
Le Conseil constitutionnel en déduit que, en prévoyant l’application d’amendes forfaitaires dont le montant n’excède pas huit cents euros aux délits mentionnés aux paragraphes I à IX et XI de l’article 25, qui sont punis au maximum d’une peine d’emprisonnement de deux ans et dont les éléments constitutifs peuvent être aisément constatés, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les principes d’égalité devant la justice et devant la loi pénale.

Puis, exerçant son contrôle sur le fondement de la protection de la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel juge que n’est pas, par elle-même, de nature à mettre en cause cette liberté l’application de l’amende forfaitaire délictuelle aux deux délits réprimés, d’une part, par l’article 431-22 du code pénal, à savoir le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité ou y avoir été autorisé, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, et, d’autre part, par l’article L. 421-1 du code de la route, à savoir le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d’employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle.

Il déclare donc conformes à la Constitution les dispositions contestées de l’article 25 de la loi déférée.

* Par application de l’article 45 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a par ailleurs fait droit à la critique des députés requérants qui contestaient comme revêtant le caractère de cavalier législatif l’article 15 de la loi déférée, modifiant plusieurs dispositions du code pénal, du code de procédure pénale et du code de la route afin de renforcer la répression des violences commises sur des personnes investies d’un mandat électif public ainsi que de certains comportements délictuels commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule.

Le Conseil constitutionnel relève en effet que, introduites en première lecture en dépit de réserves exprimées quant à leur rattachement au périmètre du texte initial, les dispositions de l’article 15 ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 7 du projet de loi initial qui aggravait la répression de l’outrage sexiste. Elles ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.

Il juge qu’il y a lieu de constater que, adopté selon une procédure contraire à la Constitution, l’article 15 lui est donc contraire. Cette censure ne prive évidemment pas le législateur de la possibilité d’adopter un tel article dans un autre texte. Le Conseil constitutionnel ne préjuge aucunement de la conformité du contenu même de cet article 15 aux autres exigences constitutionnelles.

Le Conseil constitutionnel censure pour les mêmes motifs, d’office, l’article 26 de la loi déférée supprimant l’exigence de réitération ou de formalisation des menaces de mort pour caractériser le délit prévu à l’article 222-17 du code pénal.