Communiqué

Décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 - Communiqué de presse

M. Thomas T. et autre [Pénalités fiscales pour omission déclarative et sanctions pénales pour fraude fiscale]
Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 septembre 2018 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :

  • des a et b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités ;

  • et des mots « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » figurant au premier alinéa de l'article 1741 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Les dispositions contestées de l'article 1728 du code général des impôts instituent, en cas de manquement du contribuable à son obligation déclarative dans les délais prescrits, une majoration de 10 % de l'impôt dû, si aucune mise en demeure ne lui a été notifiée par pli recommandé ou s'il a finalement satisfait à son obligation déclarative dans le délai de trente jours suivant la réception d'une telle mise en demeure. Cette majoration est portée à 40 % lorsque le document demandé n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception de la mise en demeure.

Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts punissent d'une amende de 500 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans quiconque a « volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits ». Lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen de l'une des manœuvres visées aux 1 ° à 5 ° de cet article, ces sanctions sont élevées à une amende de 2 000 000 euros et un emprisonnement de sept ans. Des peines complémentaires, d'une part, de privation des droits civiques, civils et de famille et, d'autre part, de publicité de la décision de condamnation peuvent également être prononcées par le juge pénal. Ces sanctions peuvent être appliquées aux contribuables qui se sont soustraits frauduleusement à l'impôt en omettant volontairement de déclarer des sommes qui y sont soumises.

Les requérants et les intervenants reprochaient à ces dispositions de méconnaître les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines dans la mesure où elles rendaient possible qu'une même omission déclarative puisse faire l'objet, à la fois, de poursuites administratives et pénales. Selon eux, l'omission déclarative en matière fiscale ne présentait pas le degré de gravité susceptible de justifier le cumul de ces deux poursuites. En outre, ils faisaient valoir que, faute d'avoir défini des critères objectifs relatifs à la gravité des omissions déclaratives, le législateur avait également violé le principe de légalité des délits et des peines.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a appliqué sa jurisprudence issue des décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, qui portait sur le cumul de pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et de sanctions pénales pour fraude fiscale.
Il a d'abord jugé que les dispositions contestées de chacun des articles 1728 et 1741 du code général des impôts, prises isolément, sont conformes à la Constitution. Les sanctions qu'elles prévoient sont adéquates au regard des incriminations qu'elles répriment. Elles sont proportionnées. Il a réitéré à cette occasion la réserve d'interprétation relative au délit de fraude fiscale déjà formulée dans les décisions de 2016 précitées, qui interdit qu'un contribuable puisse être poursuivi s'il a, pour un motif de fond, été définitivement jugé non redevable de l'impôt.
Le Conseil constitutionnel s'est ensuite prononcé sur le cumul de l'application des dispositions contestées.

Le Conseil constitutionnel a déclaré l'application combinée des dispositions contestées des articles 1728 et 1741 conforme à la Constitution en formulant deux réserves d'interprétation.

Après avoir rappelé l'objet des deux articles dont les dispositions étaient contestées, le Conseil constitutionnel a jugé que celles-ci permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État et l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de l'impôt et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraude les plus graves.

Le Conseil a néanmoins formulé sur ce point la même réserve que dans les décisions précitées, en jugeant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les sanctions pénales ne s'appliquent qu'aux cas d'omission déclarative frauduleuse. Il a précisé que cette gravité peut résulter du montant de la fraude, de la nature des agissements de la personne ou des circonstances de leur intervention.

Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé que l'application combinée des dispositions contestées ne peut être regardée comme conduisant à l'engagement de poursuites différentes et n'est donc pas contraire au principe de nécessité des peines.

Enfin, suivant une jurisprudence bien établie, le Conseil constitutionnel a formulé une dernière réserve d'interprétation garantissant le respect du principe de proportionnalité des peines par l'application combinée des dispositions contestées : en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne peut dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.

Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions contestées de l'article 1728 du code général des impôts ainsi que les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant au premier alinéa de l'article 1741 du même code.